Stéphan Hoebeeck et le papyrus Egerton2
- ProEcclesia bloger
- 28 oct. 2020
- 11 min de lecture
Dernière mise à jour : 26 août 2021

Dans un débat qui a eu lieu récemment entre Rémi Gomez et Stéphan Hoeebeck, le papyrus Ergaton2 a été évoqué par Stéphan Hoebeeck. Ce dernier a alors fait plusieurs affirmations qui sont bien plus que contestables, il a affirmé les choses suivante à propos du papyrus Egerton2 :
On a retrouvé un fragment d'évangile (le papyrus Egerton2) qui est le plus vieux document du christianisme que nous ayons et dans ce fragment le lépreux ne se prosterne pas devant Jésus (par rapport aux synoptiques donc le témoignage des synoptiques est faux). [1]
Une contradiction entre les synoptiques et Egerton2 ?
Pour commencer nous devons signaler que le papyrus Egerton2 n'est pas un fragment d'un évangile canonique mais un fragment d'un évangile non canonique et nous allons regarder ce que dis le papyrus Ergaton2 en comparaison avec les synoptiques :
Papyrus Ergeton2. Et voici: un lépreux, s'approchant [de lui], dit: «Maître Jésus, faisant route avec des lé[preux] et mangeant avec [eux] à .l'hôtellerie, j'ai pris la lèpre moi aussi. Si donc [tu veux], je suis purifié. » Le Seigneur [lui déclara] : « Je vevx, sois purifié. » [Et aussitôt] la lèpre le laissa. [Mais le Seigneur lui dit] : «Etant parti, [montre-toi] aux [prêtres... » . [2]
Matthieu 8:2 Et voici qu'un lépreux s'approcha, se prosterna devant lui et dit : "Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir." 3 Il étendit la main, le toucha et dit : "Je le veux, sois guéri. "Et à l'instant sa lèpre fut guérie. 4 Alors Jésus lui dit : "garde-toi d'en parler à personne ; mais va te montrer au prêtre, et offre le don prescrit par Moïse, en attestation pour eux."
Marc 1:40 Un lépreux vient à lui, le supplie, fléchit le genou et lui dit : "si vous voulez, vous pouvez me guérir." Emu de compassion, il étendit la main, le toucha et lui dit : "Je le veux, sois guéri." 42 Et aussitôt la lèpre le quitta, et il fut guéri. 43 Et lui parlant sévèrement, il le fit partir aussitôt, 44 lui disant : "garde-toi d'en parler à personne ; mais va te montrer au prêtre, et offre pour ta guérison ce que Moïse a prescrit, en attestation pour eux."
La première chose que nous pouvons constater c'est que contrairement à ce que veut affirmer Hoebeeck le papyrus Ergaton2 ne contredit pas les synoptiques. Ce n'est pas parce qu'un texte ne mentionne pas un détail qui est mentionné dans un autre texte qu'il y a automatiquement une contradiction, deux personnes qui racontent une même histoire ne vont pas forcément relater les mêmes détails et pourtant elles vont bien raconter une même histoire et les synoptiques témoignent de ce fait.
En Marc 10.35 Jean et Jacques s'approchent de Jésus pour lui faire une demande, ce même épisode est raconté dans Matthieu 20.20 sauf que dans Matthieu Jean et Jacques sont accompagnés de leur mère et cette dernière se prosterne devant Jésus avant la demande :
Marc 10:35 Jacques et Jean, les fils de Zébédée, s'approchèrent de lui et lui dirent : "Maître, nous voudrions que vous fassiez pour nous ce que vous allons vous demander.
Matthieu 20. 20 Alors la mère des fils de Zébédée s'approcha de lui avec ses fils et se prosterna pour lui faire une demande ;
Ici Marc ne mentionne pas la présence et la prosternation de la mère de Jacques et Jean, et pourtant son récit ne contredit pas celui de Matthieu, c'est juste que Marc ne mentionne pas un détails que Matthieu rapporte. Certains pourraient objecter que Marc étant le premier évangile à avoir été écrit ne fait que donner la vraie version tandis que Matthieu a faussement rajouté un détail sorti de son imagination. Le problème c'est que ce même phénomène ce produit mais dans le sens inverse, en Matthieu 17.14-21 un homme ramène son fils à Jésus pour qu'il le guérisse et en Marc 9.14-29 l'enfant tombe en voyant Jésus contrairement au récit de Matthieu. Cette fois c'est Matthieu qui ne mentionne pas des détails que Marc mentionnes et pourtant il n'y a toujours pas de contradiction mais juste des récits qui s'harmonisent.
Matthieu 17.14 Quand ils furent arrivés près de la foule, un homme s'approcha de lui et, tombant à genoux devant lui, dit : 15 "Seigneur, ayez pitié de mon fils, car il est lunatique et il est bien mal : en effet il tombe souvent dans le feu et souvent dans l'eau. 16 Je l'ai amené à vos disciples, et ils n'ont pas pu le guérir." 17 Jésus répondit : "ô génération incrédule et perverse, jusques à quand serai-je avec vous ? Jusques à quand vous supporterai-je ? Amenez-le-moi ici." 18 Et Jésus lui commanda avec force, et le démon sortit de lui, et l'enfant fut guéri à l'heure même. 19 Alors les disciples vinrent trouver Jésus, en particulier, et dirent :" Pourquoi n'avons-nous pas pu le chasser ?" 20 Il leur dit : "à cause de votre manque de foi. En vérité, je vous le dis, si vous avez de la foi comme un grain de sénevé, vous direz à cette montagne : passe d'ici là, et elle y passera, et rien ne vous sera impossible. 21 Mais ce genre (de démon) n'est chassé que par la prière et le jeûne."
Marc 9.14 Etant venus vers les disciples, ils virent une foule nombreuse autour d'eux, et des scribes qui discutaient avec eux. 15 Et aussitôt qu'elle l'eut vu, toute la foule fut stupéfaite, et elle accourut pour le saluer. 16 Il leur demanda : "que discutez-vous avec eux ?" 17 Un de la foule lui répondit : "maître, je vous ai amené mon fils, qui a un esprit muet. 18 Partout où il s'empare de lui, il le jette contre terre, et il écume, grince des dents et se raidit. Et j'ai dit à vos disciples de le chasser, et ils ne l'ont pu." 19 Il leur répondit : "ô génération incrédule, jusques à quand serai-je près de vous ? Jusques à quand vous supporterai-je ? Amenez-le-moi." 20 Et ils le lui amenèrent. À sa vue, l'esprit le jeta aussitôt à terre, et tombé sur le sol, il se roulait en écumant. 21 Et il demanda au père : "combien y a-t-il de temps que cela lui arrive ? ‒ Depuis l'enfance, dit-il. 22 Et souvent il l'a jeté dans le feu et dans l'eau pour le faire périr. Mais, si vous pouvez quelque chose, venez à notre aide par pitié pour nous." 23 Jésus lui dit : "si vous pouvez ! Tout est possible à celui qui croit." 24 Aussitôt le père de l'enfant s'écria : "je crois ! Venez au secours de mon manque de foi !" 25 Jésus, voyant accourir une foule, commanda avec force à l'esprit impur, lui disant : "esprit muet et sourd, je te le commande, sors de lui et ne rentre plus en lui." 26 Et ayant poussé un grand cri et l'ayant jeté à terre avec violence, il sortit ; et il devint comme mort, si bien que beaucoup disaient : "il est mort." 27 Mais Jésus, l'ayant pris par la main, le fit lever, et il se tint debout. 28 Lorsqu'il fut entré dans la maison, ses disciples lui demandèrent en particulier : "pourquoi n'avons-nous pu le chasser ?" 29 Il leur dit : " Ce genre ne peut être chassé que par la prière [et le jeûne]."
La datation du papyrus Egerton2, plus vieux texte chrétien ?
Hoebeeck a affirmé qu'Ergeton2 est le plus vieux texte chrétien que nous ayons, quant est-il réellement ? Egerton a été à découvert et daté d'avant/jusqu'à l'an 150 ap J.C par H.I. Bell et T.C. Skeat, par la suite Michael Gronewald à émis son désaccord envers la datation d'avant l'an 150 et à postulé pour une datation vers l'an 200 ap J.C [3]. Ces différentes dates sont aujourd'hui reflétées dans les ouvrages écrits par les théologiens, historien et biblistes, voici une recension des dates mentionnées par divers auteurs au 20/21ème siècle :
Craig L.Blomberd - Avant l'an 150 ap J.C [4]
Stanley E.Porter & Richard Bauckham - Environ l'an 150 ap J.C [5]
Charles E.Hill - Environ 150 ap J.C [6]
Daniel Marguerat - Environ 150 ap J.C [7]
Philip W.Comfort - entre 140 et 160 ap J.C [8]
Bruno Bioul - Entre le milieu du 1er siècle et l'an 200 ap J.C [9]
Larry Hurtado - Environ 200 ap J.C [10]
Et plus récemment, en 2017 Peter Malik et Lorn Zelyck [4] ont proposé après une étude du papyrus Egerton2 de le dater entre 150 ap J.C et 250 ap J.C avec une préférence pour le début du troisième siècle. [11]
Un autre point doit aussi être soulevé, dans son intervention Hoebeeck oublie de préciser qu'il existe un fragment de l'évangile de Jean (le P52) qui lui aussi possède une date précoce. Le P52 a été édité pour la première fois par C H.Roberts qui l'avait daté d'environ l'an 125 ap J.C avec une marge de plus ou moins 25ans [12], cette date est généralement reprise dans les ouvrages écrits par les théologiens, historiens et bibliste. Daniel Marguerat, Bruno Bioul et Stanley E.Porter qui j'ai cité plus haut donne tous l'an 125 ap J.C comme date pour le P52. [13]
La différence que l'on rencontre dans les études par rapport au papyrus Egerton2 et le P52 c'est que généralement les dates données pour Egerton2 dans les ouvrages sont une reprise des quelques datations proposées tandis que pour le P52 beaucoup plus de spécialistes ont directement étudiés le fragment pour proposer une date, exemples [14] :
100-150 - Sir Frederic G. Kenyon
100-150 - W. Schubart
100-150 - Sir Harold I. Bell
100-150 - Adolf Deissmann
100-150 - E. G. Turner
100-150 - Ulrich Wilken
100-150 - W. H. P. Hatch
100-125 - Philip W. Comfort
100-150 - Bruce M. Metzger
125-175 - Kurt and Barbara Aland
125-175 - Pasquale Orsini
125-175 - Willy Clarysse
170 C.E. - Andreas Schmidt
100-200 - Daniel B. Wallace
100-200 - J K.Elliot
100-200 - Lührman & Schlarb
100-200 - Larry Hurtado
80-125 - Jaros
100-225 - Brent Nongbri
81–292 - Don Barker
200-300 - Michael Gronewald
Plus récemment (en 2019) Elijah Hixson à soutenue qu'il ne fallait pas donner une date étroite pour le P52 et que le plus prudent est de donner une date avec une marge de 100ans entre l'an 100 et 200 ap J.C [15] et Edward D.Andrews a publié au cours de cette année 2020 un livre consacré à la datation de P52 dans lequel il répond à ceux qui ont proposés une datation plus tardive. Dans son étude Andrews conclut que le P52 doit être daté entre l'an 110 et 150 ap J.C [16].
Avec toutes ces datations il est compliqué d'avoir un avis fixe mais un consensus semble plus proche d'une date entre 100 et 200 ap J.C, il est donc impossible d'affirmer catégoriquement qu'Egerton2 est le plus ancien texte (physique) du christianisme dont nous disposons comme la fait Stéphan Hoebeeck.
Un dernier problème vient s'ajouter à sa position. Les spécialistes pour une majorité ne pensent pas que les quatre évangiles ont pour date de rédaction supposée, une date postérieure à la date de rédaction du papyrus Ergaton2, parce que si l'on écoute Stéphan Hoebeeck ce sont les évangiles qui viennent raconter l'histoire du lépreux après le papyrus Egerton2 comme si Egerton était la source qui avait inspiré les synoptique sur le récit du lépreux. Mais cette position n'est quasiment soutenue par aucun spécialiste.
Daniel Marguerat :
Pour Enrico Norelli, il (Egerton2) s'agit d'une réécriture évangélique basée sur l'évangile de Jean et originaire d'un milieu chrétien hellénisé du 2ème siècle. [17]
Stanley E.Porter et Richard Bauckham :
La relation de cet Évangile inconnu (Egerton2) avec les Évangiles canoniques est contestée. Certains chercheurs ont fait valoir qu'il est indépendant des quatre, qu'il partage une tradition commune avec eux ou même qu'il s'agit d'une source utilisée par Marc et Jean. Si cela était vrai, le matériel typiquement johannique de la première péricope serait important pour l'étude des sources de l'évangile de Jean. Mais il semble plus probable, compte tenu du mélange des matériaux, que cet Évangile inconnu s'inspire de la tradition, orale ou écrite, qui a été substantiellement influencée par les Évangiles canoniques. [18]
CraigL.Blomberg :
Il existe des parallèles verbaux étroits avec Marc, Luc et Jean, et les différents passages semblent être liés par des similitudes de formulation ou de thème. Cela suggère que l'auteur inconnu du texte s'est inspiré des traditions des évangiles telles qu'elles existent aujourd'hui, de sorte qu'il ne fournit aucun témoignage indépendant sur les premières étapes de la tradition évangélique. Bien que certains érudits aient soutenu que certaines des particularités du papyrus doivent être préférées à ses parallèles canoniques, les preuves sont à peine assez solides pour renverser la présomption initiale en faveur des récits du Nouveau Testament. [19]
Larry Hurtado :
P.Egerton 2 comprend deux feuilles et des fragments d'une troisième feuille d'un codex en papyrus, et il n'est pas clair si le texte était un évangile inconnu ou une interprétation harmonisée de matériel synoptique. [20]
Charles E.Hill :
Bien que certains chercheurs aient proposé d'y incorporer des éléments indépendants des évangiles canoniques et antérieurs à ceux-ci, cela est très peu probable, car il utilise à la fois des éléments synoptiques et johanniques. [21]
Catherine M.Murphy :
D'autres apocryphes, tels que l'Ascension de Jacques, l'Évangile secret de Marc et le papyrus 2 d'Egerton semblent également retravailler en grande partie les documents antérieurs des synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) et de Jean. Ils sont tardifs, ils dépendent de documents antérieurs et ils démontrent des développements historiques ultérieurs. [22]
Daniel J.Harrington :
Le papyrus (Egerton2) est important pour sa datation très précoce et comme témoin de la pratique consistant à s'inspirer de matériaux (oraux ou écrits ?) trouvés dans divers évangiles canoniques. Il est douteux qu'il fournisse des informations historiques supplémentaires de valeur sur Jésus. [23]
Simon C.Mimouni & Pierre Maraval
[...] mentionnons aussi, outre le papyrus d'Oxyrhynque 840 et 1224, le papyrus Egerton2, datant su 2ème siècle, qui développe des traditions fondées sur l'Évangile de Jean. [24]
Conclusion.
Au cours de ces lignes on a pu constater que Stéphan Hoebeeck n'a pas de méthodologie sérieuse pour approcher divers récits mentionnants une même histoire, il ne maitrise pas l'origine du papyrus Egerton2 et encore moins la datation qu'il présente comme catégorique, en soit sa position a été correct mais c'était en 1935 lorsque Egerton2 a été publié pour la première fois et que le P52 ne l'était pas, comme l'ont souligné Bart Ehrman et Zlatko Plese en 2011 "Bell et Skeat étaient enclins à dater le manuscrit jusqu'en 150 de notre ère. C'était une affirmation sensationnelle, car elle faisait de P.Egerton 2 le plus ancien manuscrit chrétien survivant de tous les temps, plus ancien que les premières copies des livres qui devinrent plus tard le Nouveau Testament. Mais peu après sa publication, C. H. Roberts a édité un papyrus qui est maintenant connu sous le nom de P52, qui contient des parties de Jean 18:31-38 et est généralement daté de l'année 125 CE (+/-25 ans). Ce papyrus est aujourd'hui considéré comme la plus ancienne copie de tout écrit chrétien. ", commentaire qui reste d'actualité puisque même avec les nouvelles suggestions de datation, il est impossible d'affirmer qu'Egerton2 est le plus vieux texte chrétien.
2. traduction de P.Benoit & M.-E Boismard, Synopse des quatre évangiles en français, p33
3. Bart Ehrman & Zlatko Plese, The Apocryphal Gospels: Texts and Translations, chap12
4. Craig L.Blomberg, The historical reliability of the Gospels second edition, p275
5. Dictionary of New Testament background, Edited by Craig A;Evans & Stanley E.Porter, p71
6. Charles E.Hill, Who Chose Gospels, p252
7. Daniel Marguerat, Vie et destin de Jésus de Nazareth, p39
8. Philip W.Comfort, New testament text and translation commentary, p273
9. Bruno Bioul, Les Évangiles à l'épreuve de l'histoire, p140
10. Larry Hurtado, The earliest Christian artifacts, p22
12. Bart Ehrman & Zlatko Plese, The Apocryphal Gospels: Texts and Translations, chap12
13. Daniel Marguerat, Vie et destin de Jésus de Nazareth, p19 ; Bruno Bioul, Les Évangiles à l'épreuve de l'histoire, p361 ; Dictionary of New Testament background, Edited by Craig A.Evans & Stanley E.Porter, p1211
14. Pour la recension je me suis basé sur les recensions d'Edward D.Andrews https://christianpublishinghouse.co/2020/06/06/how-was-a-now-treasured-ancient-greek-new-testament-manuscript-of-johns-gospel-rescued-from-the-garbage-heap/ et de Charles E.Hill, Who Chose Gospels, p249
15. Elijah Hixson, Myth and Mistakes, p108
16. Edward D.Andrews, THE P52 PROJECT: Is P52 Really the Earliest Greek New Testament
17. Daniel Marguerat, Vie et destin de Jésus de Nazareth, p39
18. Dictionary of New Testament background, Edited by Craig A;Evans & Stanley E.Porter, pp71-72
19. Craig L.Blomberg, The historical reliability of the Gospels second edition, p275
20. Larry Hurtado, The earliest Christian artifacts, p22
21. Charles E.Hill, Who Chose Gospels, p252
22. Catherine M.Murphy, The Historical Jesus For Dummies, p73
23. Daniel J.Harrington, Historical dictionary of Jesus, p115
24. Simon C.Mimouni & Pierre Maraval, Le christianisme des origines à Constantin, p79
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