Source Q, dawha et crucifixion
- ProEcclesia bloger
- 19 févr. 2023
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Dernière mise à jour : 5 août 2023

Pour nier la crucifixion certains propagandistes musulmans utilisent la source "Q" comme preuve de la non crucifixion de Jésus. Tout d'abord qu'est ce que la source "Q" ? La source "Q" est une source hypothétique qui vise a expliquer les parallèles entre Matthieu et Luc qui ne se retrouvent pas dans Marc. Pour les spécialistes qui soutiennent cette hypothèse Marc a été écrit en premier, Matthieu et Luc ont repris Marc avec en plus la source "Q" tout en étant indépendant l'un de l'autre.

Les spécialistes ont établi une reconstruction de la source "Q" dans laquelle nous ne trouvons pas les récits de la passion et de la résurrection [1]. C'est sur ce point que certains musulmans vont intervenir pour dire ou sous-entendre la chose suivante "Q est la plus ancienne source et cette source ne mentionne pas la crucifixion donc nous avons un évangile plus proche de la réalité avec "Q" car Jésus n'a pas été crucifié comme le dit le coran". J'ai d'ailleurs vu à plusieurs reprises sur internet le même copié collé disant la chose suivante "Absolument aucune mort et résurrection de Jésus n'est mentionnée dans l'évangile des paroles 'Q' qui est antérieure aux 4 évangiles et qui a inspiré les synoptiques comme le mentionne le doctorant de John Kloppenborg". Dans la même idée Ali Atai revendique Dennis R. Mcdonald et ses travaux sur la source "Q" pour nier la crucifixion en disant, comme pour le point précédant, que d'après la reconstruction de la source "Q" de Dennis R. Mcdonald nous n'avons pas de mention de la crucifixion et de la résurrection [2]. Ces arguments présentes de nombreux problèmes. Par exemple Dennis Mcdonald dit clairement que pour lui l'auteur de "Q" connaissait la crucifixion "Bien que l'auteur (l'auteur de Q, ndlr) n'ait pas raconté la mort de Jésus, il était au courant de celle-ci et de l'hostilité de l'establishment juif à l'égard de ses interprétations controversées des traditions religieuses.[3]". Il en est de même pour John Kloppenborg qui dans l'un de ses livres commente plusieurs passages de "Q" (6.22-23 ; 7.33-34 ; 11.47-51 ; 13.34-35 ; 14.27) et conclut de la sorte "Ainsi, Q n'est pas dépourvu d'une vision de la mort de Jésus, bien que nous ne trouvions pas de narration explicite de sa mort. Q voit plutôt la mort de Jésus à travers le prisme de la vision deutéronomiste des prophètes, dont le destin était d'être rejetés, voire tués. [4]". Jean-Paul Michaud, lui aussi spécialiste de la source "Q" dit qu'il serait absurde de supposer que les auteurs de "Q" ne connaissaient pas le récit de la mort de Jésus "Q n’a pas de récit de la passion. Il serait pourtant absurde de supposer que les responsables de Q ne connaissaient pas la mort de Jésus. Malgré la multiplicité des interprétations qu’on lui donne, la métaphore de la croix en Q 14,27 semble bien indiquer que ces disciples connaissaient la crucifixion de celui à la suite duquel ils étaient invités à marcher. [5]"
De plus les érudits qui sont des partisans de la source Q pensent généralement qu'il y avait d'autres sources, "M" utilisé uniquement par Matthieu et qui représente ce que l'on ne retrouve pas dans Marc et Luc et "L" utilisé uniquement par Luc et que l'on ne retrouve pas dans Marc et Matthieu.

À ce propos Bart Ehrman dit "La crucifixion de Jésus sous Ponce Pilate est, bien sûr, contextuellement crédible. Les Romains crucifiaient beaucoup de gens, tout le temps. Et il s'agit d'une tradition abondamment attestée - dans Marc, M, L, Jean et les discours des Actes, sans oublier Josèphe et Tacite. Il y est fait allusion, indépendamment, dans 1 Timothée. La crucifixion elle-même est attestée (sans Pilate) dans tout Paul et dans toute une série d'autres sources indépendantes : 1 Pierre, Hébreux, et ainsi de suite. Il s'agit de l'une des traditions les mieux attestées au sujet de Jésus et, comme nous le verrons, elle remplit également le critère suivant avec brio. [6]". Comme on le voit, même en prenant en compte que "Q" ne mentionne pas explicitement la crucifixion nous avons deux autres sources anciennes, "M" et "L" qui (d'après Ehrman) mentionnent la crucifixion.
Ceux qui utilisent l'argument du silence avec "Q" tombe dans un autre problème de taille. En effet dans la reconstruction de "Q" Jésus n'est pas nommé avec les titres "Messie/Christ". Comme le souligne Edward P. Meadors "Le terme technique "Messie/Christ" n'existe pas dans Q, pas plus que les déclarations de foi organisatrices comme Rom 1,1-7 ou Jean 1,1-18.[7]" pourtant comme le soutient Meadors "Q" ne nie pas que Jésus est le Messie. Mais si nous appliquons la même logique qu'appliquent ces musulmans à "Q" lorsqu'ils abordent la crucifixion alors "Q" nie que Jésus est le Messie ce qui contredit la sourate 4 v171 "Ô gens du Livre (Chrétiens), n'exagérez pas dans votre religion, et ne dites d'Allah que la vérité. Le Messie 'Isa (Jésus), fils de Maryam (Marie), n'est qu'un Messager d'Allah [...]" pourtant d'après eux "Q" serait le plus proche de l'évangile originel.
Un autre point que nous devons prendre en compte est que "Q" ne reste qu'une hypothèse. C'est ce que rappelle des partisans de "Q" comme Gregory Boyd & Paul Rhodes Eddy "Cependant, elle reste au mieux une hypothèse, et toute théorie qui repose sur elle doit toujours être reconnue comme étant non moins hypothétique. [8]". Ce principe s'applique à ceux qui veulent nier la crucifixion avec la source "Q", ils construisent une hypothèse avec comme socle une autre hypothèse, construire avec du sable sur du sable. Il y a aussi d'autres théories qui se passent de la source "Q". Depuis quelques années la théorie de Farrer prend de l'ampleur. Cette théorie consiste à dire que Marc a été écrit en premier, Matthieu en deuxième et Luc en troisième.

La propagation de cette théorie est notamment due au savant Mark Goodacre qui a défendu cette position dans un livre publié en 2002 [9]. Par exemple en 2018 Michael Bird a déclarer "Je pense qu'il est juste de dire que le consensus à deux sources est en train de s'effondrer, Farrer-Goulder est un rival tenable, avec quelques autres options qui recueillent maintenant un soutien [10]". D'autres ont aussi tenu des propos similaire comme Brant Pitre qui a déclaré à en 2016 "En outre, la théorie des deux sources a été fortement critiquée ces dernières années. Par exemple, l'existence de "Q" a été remise en question par des chercheurs tels que Mark Goodacre, dont le livre The Case Against Q, publié en 2002, m'a fait changer d'avis sur le sujet. (J'étais un fervent croyant de "Q"). L'un des problèmes majeurs de la théorie des deux sources est qu'elle repose sur "Q", qui n'existe que dans l'imagination des spécialistes qui y croient. Aucun manuscrit de "Q" n'a jamais été retrouvé. Aucune référence à "Q" n'est jamais faite dans les écrits des pères de l'église. Enfin, il y a tellement de problèmes internes à la théorie des deux sources que E. P. Sanders et Margaret Davies ont conclu un jour : De toutes les solutions, celle-ci [la théorie des deux sources], qui reste l'hypothèse dominante, est la moins satisfaisante.[11]" Et tout récemment Michael P. Barber à déclarer dans un tweet "Les jeunes chercheurs continuent de s'éloigner de l'hypothèse Q. L'hypothèse de Farrer est en plein essor. Et il n'y a aucun doute que personne n'est plus responsable de ce changement que Goodacre dont les critiques sont particulièrement impressionnantes.[12]".
Et il existe encore d'autres position comme l'hypothèse de Griesbach (appelée aussi hypothèse des deux évangiles), Matthieu écrit en premier, Luc en deuxième et Marc en troisième.

Cette position, bien que largement minoritaire a encore été défendue au 21ème siècle. Dans un ouvrage publié en 2002 par David Peabody, Lamar cope & Alan J. McNicol [13] ou encore par David Alan Black [14]. Il y a aussi l'hypothèse de la postériorité Matthéenne, Marc écrit en premier, Luc en deuxième et Matthieu en dernier.

Cette hypothèse a récemment été défendue par Robert K. Macewen dans un ouvrage dédié à cette question [15] qui a d'ailleurs fait changé d'avis Richard Bauckham qui a abandonné la théorie de "Q" pour la postériorité Mathéenne [16]. Il existe encore bien d'autres théories et je ne pourrai pas toutes les citer, par exemple pour Rainer Riesner le problème des évangiles synoptiques se résout par la biais d'une tradition orale, théorie que l'on appelle "l'hypothèse de l'oralité et de la mémoire" [17]. En bref l'hypothèse "Q" a suffisamment d'alternatives pour qu'on rejette d'un révère de main l'idée que l'évangile ne parlait pas de la crucifixion car une telle position n'est qu'une hypothèse basé sur une autre hypothèse qui ne nie même pas la crucifixion.
Une traduction française est disponilbe ici http://www.astrosurf.com/luxorion/bible-source-q-texte.htm
Dennis McDonald, Two Shipwrecked Gospels The Logo of Jesus and Papias's Exposition of Logia about the Lord, p553
John Kloppenborg, Q, the Earliest Gospel An Introduction to the Original Stories and Sayings of Jesus, p78
Jean-Paul Michaud, Passible des Historiens: Jésus de Nazareth, p174 ; Voir aussi James Dunn "L'absence d'indications que Q a été influencé par le kérygme ou les récits de la Passion est considérée par certains comme impliquant que la communauté de Q ne connaissait ni le kérygme ni les récits de la Passion et maintenait une christologie en désaccord avec la christologie des évangiles canoniques". Bien sûr, il est incroyable qu'il y ait eu en Galilée des groupes qui chérissaient le souvenir de l'enseignement de Jésus, mais qui ne savaient pas que Jésus avait été exécuté ou qui ne s'en préoccupaient pas. En fait, Q montre qu'il y a eu une prise de conscience de la mort de Jésus. L'argument se réduit donc à des points dans la collection "Q" où "Q" aurait pu emprunter un élément du kérygme de la Passion, mais n'a pas réussi à le faire de manière cohérente - un argumentum ex silentio en effet." Jesus Remember, p171
Bart Ehrman, Did Jesus exist ? chap 8
Edward P. Meadors, The "Messianic" Implications of the Q Material, p255
Gregory Boyd & Paul Rhodes Eddy, The Jesus Legend, chap 7
Mark Goodacre, The Case Against Q
https://www.patheos.com/blogs/euangelion/2018/10/richard-bauckham-on-matthews-use-of-luke/
Brant Pitre, The Case for Jesus, chap 7
https://twitter.com/MichaelPBarber/status/1619512116511395840
David Peabody, Lamar cope & Alan J. McNicol, One Gospel From Two
David Alan Black, Why Four Gospels ?
Robert K. Macewen, Matthean Posteriority
https://www.logos.com/grow/when-richard-bauckham-rethought-the-synoptic-problem/
The Synoptic Problem: Four Views, chap 5
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