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Matthieu 27 et le "faux" Pilate ?

  • Photo du rédacteur: ProEcclesia bloger
    ProEcclesia bloger
  • 29 déc. 2022
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 5 janv. 2023



Matthieu 27:15 Or, à chaque fête, le gouverneur avait coutume de relâcher à la foule un prisonnier, celui qu'ils voulaient.


Matthieu 27:24 Pilate, voyant qu'il ne gagnait rien, mais que le tumulte allait croissant, prit de l'eau et se lava les mains devant la foule, en disant : "je suis innocent du sang de ce juste ; à vous de voir !"



Les deux versets cités ci-dessus sont généralement considérés comme fictifs par les exégètes modernes. Le verset 15 de Matthieu 27 parle d'une coutume que le gouverneur avait de relâcher un prisonnier pendant la fête de pâque. Cette coutume n'est attestée nul part en dehors des évangiles, raison pour laquelle certains critiques pensent qu'il s'agit d'une invention comme le note Simon Légasse qui qualifie ce passage "d'une historicité contestable vu l'absence totale en dehors des évangiles d'indices de la coutume qu'il suppose [1]". Raymond Brown voit dans ce passage une mauvaise interprétation des évangélistes ou de la tradition qui ont mal comprit la relaxe de Jésus pensant qu'il s'agissait d'une coutume "On peut soupçonner que les évangélistes (ou leurs prédécesseurs dans la tradition) ont imaginé que la relaxe était le reflet d'une coutume habituelle, alors qu'en fait il s'agissait d'un incident isolé [2]". Le deuxième verset, celui de Matthieu 27.24 nous dit que Pilate s'est lavé les mains avant de déclarer qu'il est innocent du sang de Jésus ce qui est une pratique juive que l'on retrouve en Deutéronome 21.6-8 raison par laquelle beaucoup pensent qu'il s'agit d'une fabrication car Pilate n'aurait jamais suivit cette pratique juive. James Dunn dit à propos de ce passage que l'on peut certainement y voir "un embellissement romanesque [3]".


Pour Matthieu 27.15 nous pouvons avancer plusieurs arguments. La coutume de relâcher un prisonnier est attestée dans les quatre évangiles et si l'on s'en tient aux attributions traditionnelles sur les auteurs des évangiles [4] nous avons une base solide sur l'attestation de cette coutume. Ensuite nous avons des attestations qui bien que n'attestant pas de cette coutume chez les romains peuvent montrer sa vraisemblance. Flavius Josèphe rapporte des événements dans lesquels des prisonniers ont été libérés par un officier romain [5] tout comme Tite Live [6] et Suétone [7]. Un papyrus (Florence 61) [8] mentionne les propos du gouverneur d'Égypte G. Septime Vegetus à un certain Phibion : "Tu étais digne d'être flagellé... mais je te livre aux foules [9]". Ces éléments nous montrent qu'un magistrat impérial pouvait gracier un prisonnier et dans certains cas sous les pressions des foules. Dans le judaïsme rabbinique (Mishnah pesachim 8.6) il est question de la libération d'une ou plusieurs personnes au moment de la Pâque de Jérusalem. Nous pouvons donc voir que d'un point de vu romain Pilate pouvait libérer des prisonniers et que d'un point de vu juif cette pratique pouvait être connue au 1er siècle. La libération de prisonnier pouvait être de deux types, l'abolitio (acquittement avant le procès) et l'indulgentia (l'acquittement après la condamnation) [10]. Rien n'empêchait Pilate de suivre cette coutume et il est possible qu'il l'ait fait par bonne volonté. Grant Osborne dit sur ce verset "il n'y a aucune raison pour que l'église primitive l'invente. Il serait naturel qu'il s'agisse d'un signe de bonne volonté romaine, et certains pensent que Pilate pourrait l'avoir initié lui-même, peut-être pour expier certains de ses mauvais jugements dans le passé [11]". Thierry Murcia fait une remarque intéressante en soulignant que le principe de cette pratique "ne pouvait que plaire aux romains car, il illustrait bien la pleine autorité, le droit de vie et de mort, dont jouissait celui qui l’exerçait [12]".


En ce qui concerne Matthieu 27.24 et le lavement des mains de Pilate nous retrouvons ce rapport uniquement dans l'évangile de Matthieu contrairement au point précédent. Bien que cette pratique existait chez les juifs nous pouvons trouver des traces de rituel de pureté lié au lavement dans la culture gréco-romaine (Virgile [13], Hérodote [14] & Sophocle [15]) bien qu'ayant des différences avec la coutume juive. De plus comme le dit D. A. Carson Pilate aurait pu agir ainsi par mépris envers les juifs "A notre connaissance, ce lavage des mains n'était pas une coutume romaine. Après avoir vécu plusieurs années parmi les Juifs qu'il détestait, Pilate a repris une de leurs propres coutumes et l'a utilisée avec mépris contre eux [16]". En se basant les Constitutions apostoliques du 4ème siècle qui elle même est basée sur la Didascalie des apôtres (du 3ème siècle) Thierry Murcia soutient l'historicité du verset 24. Dans le verset 24 de Matthieu 27 Pilate dit "je suis innocent du sang de ce juste" et Murcia fait le parallèle avec les Constitutions apostoliques qui rapporte à propos du pouvoir séculier que "celui qui doit porter décret et sentence de mort contre le prévenu lève les mains vers le soleil et proteste qu’il est innocent du sang de cet homme [17]" ce qui d'après Murcia soutiendrait l'historicité de Matthieu 27.24 qui conclut de la sorte :

"À la lumière de ce témoignage la relation de Matthieu devient tout à coup « historique ». Les paroles qu’il rapporte ont bien été dites, Pilate a bien déclamé : « Je suis innocent du sang de cet homme». C’était tout simplement la formule d’usage lorsqu’on prononçait une sentence de mort. Il ne s’agit donc pas d’un artifice de Matthieu visant à déresponsabiliser Pilate. Au contraire, même si ce dernier a agi à la demande des grands prêtres, c’est bien lui qui a prononcé la sentence puisque lui seul en avait effectivement le pouvoir.

En prononçant ces paroles, Pilate a levé les mains vers le soleil puisque c’était la règle. Se les était-il préalablement lavées comme le relate Matthieu ? Nous ne pouvons le certifier mais, pour ma part, je continuerai à considérer le témoignage de Matthieu sur ce point comme potentiellement recevable, tant que le contraire n’aura pas été clairement démontré170. Je ne vois pas en effet pourquoi la règle valable pour tout document historique ne devrait pas être appliquée ici ! [18]".

On peut aussi se demander pourquoi Pilate voulait déclarer Jésus innocent ? Il est possible comme le note Bruno Bioul que Pilate ait fait suivre Jésus par les speculatores qui étaient des espions romains présent par dizaine par légion sous Auguste [19]. Après la destitution d'Archélaüs et les révoltes juives de Judas de Gamala vers le tournant de notre ère les romains auraient naturellement surveillés tout mouvement dissident ce qui pourrait expliquer pourquoi Pilate voulait relâcher Jésus car il savait qu'il ne représentait aucun danger pour Rome. Ce n'est que lorsque la foule utilise le nom de César comme le rapporte Jean que Pilate le livre pour être crucifié [20].






  1. Jésus au regard de l'histoire, p118

  2. Raymond Brown, La mort du Messie, p909

  3. James Dunn, Jesus remembered, p776

  4. Point de vu que j'ai défendu dans cet article https://www.proecclesia.fr/post/les-quatre-évangiles-anonymes-1

  5. Flavius Josèphe, Guerre des juifs, 20.208-209, 215 ; 6.300-305 où Josèphe parle d'un prophète nommé Jésus fils d'Ananus qui fut arrêté par les autorités juives pour avoir prophétisé la destruction du temple et fut amené devant le gouverneur Albinus qui le fit fouetter jusqu'au sang et fut renvoyer comme fou

  6. Tite Live, 5.13

  7. Suétone, Vie de Tibère, 47

  8. https://papyri.info/ddbdp/p.flor;1;61

  9. Cité d'après Craig Evans, Matthew New Cambridge Bible Commentary, p452

  10. Voir le commentaire sur Matthieu 27.15 de Grant Osborne dans Exegetical Commentary on the New Testament

  11. Ibid ; Craig Evans dit sur ce verset "L'offre de pardon de Pilate peut très bien avoir servi l'apologétique des premiers chrétiens, mais il est néanmoins préférable de la considérer comme de l'histoire et non comme de la fiction" Craig Evans, Matthew New Cambridge Bible Commentary, p452 ; Thierry Murcia dit "Il paraît cependant bien improbable que sur un point aussi précis et encore facilement vérifiable à l’époque de la rédaction des Évangiles, les évangélistes se soient permis d’inventer quelque chose d’aussi « gros ». Si, en effet, cette coutume avait été une invention pure et simple, aucun Juif, en l’entendant, ne se serait jamais converti au christianisme. Or, même s’il est chrétien, l’auteur du premier Évangile (Matthieu), pour ne parler que de lui, est un Juif qui s’adresse à des Juifs !" Jésus contre Jésus : droit de réponse en 101 points, p87 ; Craig Blomberg dit à propos des différentes sources qu'elles "peuvent attester de cette coutume ou, plus probablement, de pratiques romaines partiellement analogues, de sorte que le récit, rapporté dans les quatre Evangiles, n'est pas intrinsèquement improbable" voir son commentaire sur Jean 18.39-40 dans The Historical Reliability of John's Gospel

  12. Thierry Murcia, Jésus contre Jésus : droit de réponse en 101 points, p88

  13. Virgile, Éneide 2.716-720 "Toi, père, tiens les objets sacrés et les Pénates de notre patrie ; pour moi, qui sors à peine d'une guerre si terrible et de ce carnage, ce serait sacrilège de les toucher, avant de m'être purifié dans l'eau courante d'une rivière."

  14. Hérodote, 1.35 "Pendant que Crésus était occupé des noces de ce jeune prince, arrive à Sardes un malheureux dont les mains étaient impures : cet homme était Phrygien, et issu du sang royal. Arrivé au palais, il pria Crésus de le purifier, suivant les lois du pays. Ce prince le purifia. Les expiations chez les Lydiens ressemblent beaucoup à celles qui sont usitées en Grèce (18). Après la cérémonie, Crésus voulut savoir d'où il venait et qui il était. « Étranger, lui dit-il, qui êtes-vous ? De quel canton de Phrygie êtes-vous venu à ma cour comme suppliant ? Quel homme, quelle femme avez-vous tué ? - Seigneur, je suis fils de Gordius et petit-fils de Midas. Je m'appelle Adraste. J'ai tué mon frère sans le vouloir."

  15. Sophocle, Ajax 654 "Moi, en effet, qui longtemps m'étais endurci par l'obstination, comme le fer par la trempe, je me sens attendrir aux discours de cette femme, j'ai pitié de là laisser veuve parmi mes ennemis avec un fils orphelin. Mais je vais au rivage qui borde la prairie, pour purifier mes souillures par un bain, et apaiser la colère redoutable de la déesse"

  16. Voir le commentaire de Carson sur Matthieu 27.24 dans Matthew The Expositor’s Bible Commentary

  17. Constitutions apostoliques, 2.7.1

  18. Jésus contre Jésus : droit de réponse en 101 points, pp105-107

  19. Bruno Bioul, Les évangiles à l'épreuve de l'histoire, p301

  20. Ibid


 
 
 

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