Le prologue de l'évangile de Luc, authenticité et analyse d'une revendication d'historien.
- ProEcclesia bloger
- 20 mars 2022
- 31 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 mars

St Luc lorsqu'il écrit son évangile présente dès les premieres lignes son objectif :
Luc 1
1 Comme plusieurs ont entrepris de composer une relation des choses accomplies parmi nous,
2 conformément à ce que nous ont transmis ceux qui ont été dès le commencement témoins oculaires et ministres de la parole,
3 il m'a paru bon à moi aussi, qui de longue date ai tout suivi avec soin, d'en écrire pour toi le récit suivi, noble Théophile,
4 afin que tu reconnaisses la certitude des enseignements que tu as reçus.
De ces passages nous pouvons tirer plusieurs informations importantes, l'auteur n’était pas un témoin oculaire mais il a recueilli des informations provenant de témoin oculaire, il n’est pas le premier a avoir écrit et a fait un travail de recherche tel un historien.
Le récit de Luc et plus particulièrement le prologue s'avèrent être tous deux interessants lorsqu'on les compares aux critères qu'avait établit Willem Van Unnik sur les dix règles régissant le code de l’historien gréco-romain :
Choix d’un sujet noble
Utilité du sujet pour les destinataires
Indépendance d’esprit et absence de partialité de l’auteur
Bonne construction du récit,
Collection adéquate du matériel préparatoire
Sélection et variété dans le traitement des informations
Correcte disposition et ordonnancement du récit
Vivacité dans la narration
Modération dans les détails topographiques
Composition de discours adéquats à l’orateur et à la situation rhétorique. [1]
Sur les dix critères l'auteur en répond à huit, à savoir le 2,4,5,6,7,8,9 et 10, le critère 1 et 3 ne sont pas remplit par St Luc car il adopte la position de l’historiographie juive et Bioul en conclut "(qu)’on peut et on doit aussi reconnaître qu’il (St Luc) n’est pas un genre isolé ou unique, et qu’il peut être plus que cela puisqu’il s’inscrit dans une lignée d’oeuvres classiques qui relèvent de l’historiographie à la fois gréco-romaine et juive". [2]
Le prologue est d'ailleurs comparable à plusieurs autres prologues dont notamment ceux de Flavius Josèphe, Thucydide et Tite-Live :

Mais le prologue qui est le plus similaire à celui de l'évangile de Luc nous vient de l'auteur grec Dioscoride :

Dioscoride était un médecin qui a vécu au 1er siècle de notre ère et comme on le voit son prologue contient de nombreux parallèles frappants. Tous les deux ont consciences d'avoir des prédécesseurs, de relater des événements réels, de faire une recherche d’information auprès de plusieurs témoins et d'exposer le résultat d'une enquête.
Pour qualifié son enquête St Luc utilise le terme "διήγησις (diegesis)" qui est un hapax dans le nouveau testament et qu'il met en relation avec son écrit et ceux qui ont été composés avant le siens (plusieurs ayant entrepris de composer un récit). Ce terme a été utilisé de différentes manières par les écrivains antiques et l'une d'entre elles concerne les récits historiques [3]. Par exemple Flavius Josèphe, Plutarque et Lucien l'utilisent en lien avec des récits historiques :

Le fait que St Luc l'utilise dans son prologue et le mette en relation avec ce qui "s'est accomplit parmi nous", "ce qui a été transmis par les témoins oculaires" et sa volonté "d'exposer son enquête" démontre que c'est dans le sens d'un récit historique qu'il faut comprendre le terme "διήγησις" chez St Luc. Son récit historique est donc le fruit de témoignages provenant de témoins oculaires de la vie du Christ, le terme utilisé par St Luc "αὐτόπτης" qui est aussi utilisé par Hérodote, Polybe et Josèphe et concerne des personnes qui ont vécu l'événement ou les événements à rapporter :

La notion de témoin oculaire était donc importante. St Luc s'enracine parfaitement dans le travail d'historien lorsqu'il mentionne qu'il a bien obtenu ses informations de personnes qui ont été des "témoins" du ministère du Christ. Bien qu'il ne précise pas explicitement qui sont ces "témoins" et quelles sont les sources textuelles qu'il a utilisé (contrairement à ce que faisaient dans certains cas les historiens gréco-romains) ce rapprochant plus sur point de l'historio-graphie juive pratiquée par l'auteur du livre des Maccabées St Luc nous livre quelques indices sur ce qu'il sous entendait pour les sources écrites ou orales qu'il a consulté. Dans le prologue nous pouvons voir que les "témoins oculaires" sont décrits comme l'étant "depuis le commencement" et comme le souligne John J. Peters "ces mêmes notions sont mises en évidence au début du second volume. Actes 1.20-22 souligne l'importance des notions de "témoin oculaire" et de "dès le commencement" lorsque Pierre stipule qu'un témoin oculaire et un participant du début du ministère de Jésus doit remplacer Judas [4]". En effet lorsqu'il a fallu remplacer Judas le critère de sélection était qu'il fallait être un témoins du ministère du Christ depuis le baptême de Jean jusqu'à l'élévation du Christ, il s'agit des critères apostolique. Au regard des évangiles l'expression "depuis le baptême de Jean jusqu'au jour où il a été élevé"fait surement référence à un témoin d'une partie de la vie du Christ jusqu'à sa résurrection puisque les douze apôtres n'étaient pas tous présents et les deux personnes choisies pour remplacer Judas ne l'étaient probablement pas non plus depuis le baptême du Christ. Les témoins qui ont servi de base à St Luc pour composer son récit sont donc tous ceux pouvant remplir les critères apostoliques ce qui correspond avec ce que nous rapporte la tradition et une probable utilisation de l'évangile de Marc par St Luc puisque ce dernier est considéré comme ayant mis par écrit la prédication de l'apôtre Pierre et/ou une utilisation par St Luc de l'évangile de Matthieu qui est vu par la tradition comme provenant de l'apôtre Matthieu.
Cette proximité avec des "témoins oculaires" laisse une courte période entre l'événement et la mise par écrit de l'évènement. Ce point était une donnée importante pour Thucydide qui ne considérait pas comme important les témoignages éloignés. Et il est évident que St Luc se conforme à se souci de rapporter des événements récents.

Un autre point doit être noter pour en dire plus sur la façon dont St Luc a composé ses récits. En Luc 3.1 il utilise une succession de synchronismes pour dater l'événement qu'il décrit, synchronisme qu'il utilise à plusieurs reprises dans ses récits (Luc 1.5 ; 2.1 ; 2.21 ; 2.22-24 ; 2.27-28 ; 3.21-22 ; 13.1-5 ; Actes 4.5-6 ; 4.27 ; 11.27-28 ; 18.1-2 ; 18.12-13). Ce procédé est tout à fait naturel pour un historien et on retrouve le même procédé par exemple chez Thucydide et Polybe :

Ces exemples ne prouvent bien évidement pas que l'auteur de l'évangile de Luc est fiable mais en revanche cela montre la démarche de l'auteur. Il a cherché des témoignages auprès de témoins oculaires, il écrit après que d'autres aient composés des récits, il a composé son récit pour donner un témoignage sûr et il a cherché à encrer son récit dans l'histoire (chronologiquement parlant). Ces éléments nous offre par la même occasion la façon dont nous devons lire les écrits lucaniens, comme des récits provenant de sources fiables et récentes par rapport aux événements racontés. Clare Rothschild a examiné les prétentions récurrentes des historiens dans leurs préfaces et a identifié six prétentions qui ont atteint le statut de convention parmi les historiens à la période hellénistique.
La prétention à la " vérité " (ἀλήθεια et/ou σαφές)
La prétention à l'" exactitude " (ἀκρίβεια)
La prétention à la recherche (ἱστορία) ou, au moins, à un " récit " (διήγησις) et souvent à un récit qui commence au ou depuis le " début " (par ex, ἀπ' ἀρχῆς)
La prétention à éviter le style
La prétention à "l'ordre" (καθεξῆς)
La prétention à s'appuyer sur l'autopsie ou les témoins oculaires.
Sur ces six prétention St Luc en remplit 5, seul la prétention au style n'est pas remplit [5]. Le prologue de l'évangile de Luc s'avère donc être indispensable pour comprendre la démarche de St Luc lorsqu'il a écrit son évangile et les Actes [6]. À ce propos le classiciste John Moles à conclut de la sorte après son étude sur le prologue de l'évangile de Luc :
"J'espère en avoir dit assez pour établir que cette préface est l'une des plus grandes de toutes les préfaces historiographiques classiques : magistrale par sa brièveté, sa compression, sa complexité, sa profondeur d'implication et son originalité créative ; par ses exigences esthétiques, littéraires, intellectuelles, politiques, philosophiques et religieuses ; et par ses interactions organiques et multifonctionnelles avec le récit. [7]"
Le prologue étant un élément de poids pour soutenir l'approche d'un travail d'historien de St Luc, plusieurs auteurs ont trouvés une parade très simple. Le prologue de l'évangile est un ajout tardif avec tout le chapitre 1 et le chapitre 2 de l'évangile. Cette position est défendue de différentes façon par divers érudits (ou non). Par exemple un auteur nommé Paul Calfayan a publié un article pour présenter plusieurs arguments contres l'authenticité du prologue voir des chapitres 1 et 2 tout en apportant aussi des arguments pour [8], Theodore J. Weeden Sr. a publié dans une revue universitaire de vives critiques à l'encontre de Richard Bauckham dans laquelle il soutient que les chapitres 1 et 2 de l'évangile de Luc sont des ajouts [9], le philosophe athée Jonathan M. S. Pearce a fait un article pour soutenir ce point de vu [10] et pour finir, l'incontournable Bart Ehrman sur son site nie l'authenticité des chapitre 1 et 2 avec une différence notable, il garde la prologue comme authentique [11] et ne croit pas que l'évangile soit une réponse à Marcion. Bien évidement la liste pourrait être allongé mais avec ces quatre auteurs je peux faire une bonne synthèse des arguments pour nier l'authenticité des deux premiers chapitres en présentant les arguments de chaque auteur.
Paul Calfayan
Le diatessaron ne contient pas le prologue, Victorin de Pettau cite le début des évangiles et fait commencer celui de Luc au verset 5 du chapitre 1. Le prologue est dans un bon grec alors que le reste du chapitre et le chapitre 2 ont une coloration sémitique, la très brève introduction en Actes 1.1-2 ne suppose pas le prologue de Luc mais semble être un ajout. Le πολλοι du verset 1. – Pris littéralement, fait allusion à un grand nombre de personnes ; on n’imagine pas un grand nombre d’Evangiles et même d’ébauches évangéliques avant les Synoptiques ! Par contre, une datation plus tardive du Prologue (et éventuellement de l’Evangile) permettrait de supposer qu’il s’agit d’Evangiles classés comme apocryphes. Les hapax (επειδηπερ, ανατασσω, autoptai), divers expression unique. Un Schéma de formation proche de Papias (Seigneur-apôtre- évangéliste) exprimé en termes semblables et comme Papias ne connaît pas Luc c'est Luc qui s'inspire de Papias. Une revendication d'apostolicité concevable au deuxième siècle mais inconcevable au premier. L'objectif de rapporter de manière suivie n'est pas respecté dans le corps de l'évangile. Tatien se sert de Luc mais il ignore le prologue.
Theodore J. Weeden Sr
La préface de l'évangile ne correspond pas à une oeuvre historio-graphique mais plutôt à un traité scientifique de part sa brièveté, il ne s'identifie pas par son nom et ne fournit pas ses qualifications d'auteur. Il ne prétend pas avoir été personnellement un témoin oculaire de ce qu'il raconte, mais fait plutôt allusion aux récits oculaires d'autres personnes, dont il ne vérifie pas la fiabilité, ce qui n'est pas caractéristique des deux modèles de préface. Marcion n'avait les chapitres 1 et 2 et sa version est la version original de l'évangile de Luc dont la version actuelle ne découle que d'une réponse à Marcion.
Jonathan M. S. Pearce
Marcion n'avait pas les chapitres 1 et 2 et il a affirmé que son évangile était original alors que le Luc canonique est une falsification. L'auteur donne la généalogie de Jésus après avoir raconté son enfance ce qui n'est pas cohérent. D'un point de vu linguistique les deux premiers chapitres s'écarte du style du reste de l'évangile même Craig Blomberg le reconnait.
Bart Ehrman
Luc 3 se lit comme le début d'un récit (comme Marc), la généalogie au chapitre 3 n'a pas de sens avec les chapitres 1 et 2. En Luc 3.22 il est dit "Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi j'ai mis toute mon affection" mais dans la version du codex de Bezae il dit "Tu es mon Fils bien-aimé ; aujourd'hui je t'ai engendré". La version du codex de Bezae est l'original et reflète que Luc était adoptionniste, cette lecture contredit Luc 1.35 qui dit que Jésus est "Fils de de Dieu" ce qui contredit Luc 3.22 où Jésus devient Fils de Dieu donc les chapitre 1 et 2 sont des ajouts, CQFD. Luc 1 et 2 différé de part son style avec le reste de l'évangile car il y a de nombreux hébraïsme provenant de la septante.
J'ai synthétisé au plus possible leurs arguments et j'en ai omis certains qui ne rentrent pas dans sujet du présent article. Les arguments que j'ai présentés ne sont pas aussi cohérents que ce que ces auteurs veulent nous faire croire et ils sont plus poussés par une hyper-critique stérile que par des preuves tangibles. Je précise que les réponses qui suivent partent du principe que seuls les chapitre 1 et 2 ne sont pas authentique ce qui n'est pas le cas de ceux qui accordent la priorité au texte de Marcion, ce dernier point sera traité dans un article ultérieur.
L'absence de mention du prologue dans le diatessaron n'est pas argument, le diatessaron à pour objectif de faire un écrit avec les quatre évangiles, les doublons peuvent être supprimés en plus d'autres éléments. Paul Calfayan aurait mieux fait d'expliquer en quoi un prologue où l'auteur se présente comme un non témoin oculaire aurait un sens dans un texte qui reprend deux évangiles considéré au deuxième siècle comme venant de témoins oculaires (Matthieu et Jean) ? Le propos de Victorin de Pettau ne prouve pas non plus qu'il connaissait un évangile de Luc sans prologue, voici ce que dit Victorin de Pettau :
Marc, donc, en tant qu'évangéliste commençant ainsi, Le commencement de l'Évangile de Jésus-Christ, comme il est écrit dans le prophète Isaïe ; La voix de celui qui crie dans le désert, Isaïe 40:3 - a l'effigie d'un lion. Et Matthieu, Le livre de la génération de Jésus-Christ, fils de David, fils d'Abraham : Matthieu 1:1 - a l'effigie d'un homme. Mais Luc dit : Il y avait un prêtre, nommé Zacharie, de la race d'Abia, et sa femme était des filles d'Aaron : Luc 1:5 c'est la ressemblance d'un veau. Mais Jean, lorsqu'il commence : Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu, présente la ressemblance d'un aigle en vol. De plus, non seulement les évangélistes expriment leurs quatre similitudes dans leurs ouvertures respectives des Évangiles, mais la Parole elle-même de Dieu le Père Tout-Puissant, qui est son Fils notre Seigneur Jésus-Christ, porte la même ressemblance au moment de son avènement. [12]
Victorin dit effectivement que St Luc commence son évangile par le verset 5, cependant on peut largement comprendre par là que le prologue sert d'introduction à l'évangile et que Victorin parle du moment où l'histoire commence dans l'évangile de Luc. Cet argument est appuyé par le fragment de Muratori qui dit la chose suivante :
Troisièmement, le livre de l’Evangile selon Luc. Ce Luc était médecin. Après l’ascension du Christ, Paul l’ayant pris pour second à cause de sa connaissance du droit, il écrivit avec son assentiment ce qu’il jugeait bon. Cependant lui non plus ne vit pas le Seigneur dans la chair. Et par conséquent selon ce dont il avait pu s’informer il commença à le dire à partir de la nativité de Jean. [13]
Ici l'auteur dit que Luc à commencer à dire ce dont il s'est informé à partir de la nativité de Jean, il considère que l'exposition des recherches de St Luc comme ici. Le prologue n'est bien évidement pas prit en compte puisqu'il ne concerne pas les informations que St Luc a récolté et dans ce même fragment nous pouvons lire que St Luc n'était pas un témoin oculaire, ce qui est une allusion à peine voilée au prologue de l'évangile de Luc !
Le fait que la brève intro en Actes 1.1-2 ne prouve pas de facto que le prologue de Luc est authentique est un point vrai mais Calfayan oublie de préciser que l'intro d'Actes 1.1-2 offre une cohérence avec le prologue de Luc puisque l'intro donne une continuité au prologue comme le fait Diodore de Sicile :

À ce propos Gregory E. Serling dit "la référence à l'ancien livre et le résumé de son contenu sont les signes clairs d'une préface secondaire... ce qui présuppose un prooémium antérieur [14]". Le plus probable est donc que l'intro en Actes 1.1-2 suggère le prologue de Luc et non l'inverse. Quand au fait que l'intro des Actes serait un ajout, il s'agit encore une fois d'un argument reposant uniquement sur l'imagination de ceux qui en ont besoin. La mention des autres écrits dans le prologue de Luc n'est pas non plus une référence aux évangiles apocryphes, il peut très bien s'agir d'une référence à un ou deux évangiles canoniques et à divers sources écrites concernant la vie de Jésus (notons qu'environ 42% -485 versets- de l'évangile de Luc ne se retrouve pas dans Matthieu et Marc) et comme nous allons le voir plus loin il est fortement possible que St Luc ait eu d'autres sources pour les insérer dans son évangile. La ressemblance avec Papias ne prouve encorne une fois pas que le prologue est calqué sur Papias sous prétexte que Papias ne mentionne pas l'évangile de Luc. L'argument est à géométrie variable car St Luc ne mentionne pas non plus Papias et en suivant la même logique biaisée on pourrait dire que St Luc ne dépend pas de Papias car il ne le mentionne pas. De plus l'affirmation consistant à dire que Papias ne connait pas l'évangile de Luc doit être tempérée car non seulement nous ne possédons pas les écrits de Papias mais seulement des citations d'autres écrivains mentionnant les textes de Papias et en 1998 F. Siegert a publié une citation de Papias contenue dans le commentaire sur l'Apocalypse d'André dans lequel Papias cite un passage que l'on retrouve uniquement en Luc 10.18 et comme le souligne Charles E. Hill "l'explication la plus simple, et celle qui exige le moins de suppositions, est que Papias reflète ici une familiarité avec l'Evangile de Luc [15]". L'argument des trois hapax de Calfayan est encore plus incompréhensible que les autres, si les chapitres 1 et 2 sont des ajouts l'évangile de Luc commence donc en 3.1. Et bien dans ce simple verset nous pouvons trouver pas moins de huit hapax :

Si les hapax dans le prologue posent un problème il faudrait nous expliquer comment l'évangile pourrait alors commencer par un verset qui en contient 8 et qui n'existe nul part ailleurs dans le Nouveau Testament ?
L'argument d'Ehrman sur le fait que l'évangile de Luc présente d'abord le récit de la naissance de Jésus avant la généalogie est cohérent puisque la quasi-totalité des historiens lorsqu'ils racontent la vie d'un personnage présentent la généalogie avant le récit. Cependant nous pouvons trouver un exemple d'un historien qui ne suit pas cet ordre. Dennis d'Halicarnasse dans ses antiquité romaine 4.6.1-6 parle de la généalogie de Lucumon (Lucius Tarquin) et pourtant dans son livre précédent (3.46.5) il mentionne la naissance de Lucumon comme le souligne Andrew W. Pitts "le récit de la naissance de Tarquin, par exemple, se trouve dans un livre antérieur (3.46.5), et non dans le livre consacré au sujet du récit, comme c'est souvent le cas dans la tradition biographique [16]".
Concernant l'adoptianisme en Luc 3.22 Ehrman revendique à juste titre une variante qui existe sur ce verset et opte pour la variante "aujourd'hui je t'ai engendré", voici les deux façon de lire fin de Luc 3.22 :
Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie (Bible de la Liturgie)
Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré (Bible TOB)
Je ne rentrerai pas ici dans les détails textuels pour savoir laquelle des deux variantes à le plus de chance d'être authentique, un travail très intéressant a été fait sur cette question par Robert Alan King dans sa réponse à Bart Ehrman [17]. Je note cependant à titre informatif que les quatre éditions textuelles du Nouveau Testament publiées au 21ème siècle adoptent toutes la variante "en toi, je trouve ma joie" comme authentique [18]. Ici je vais partir du principe que la variante "aujourd'hui, je t'ai engendré" est authentique (bien que ce n'est pas mon avis) pour voir si elle prouve vraiment la position adoptioniste.
Le premier point à noter est que l'argument de Bart Ehrman et lui aussi à géométrie variable, pour lui Jésus est devenu Fils de Dieu après le baptême car il interprète la variante de Luc 3.22 comme le démontrant et comme dans le chapitre 1 du troisième évangile Jésus est appelé Fils de Dieu cela prouve que le chapitre 1 est un ajout ! L'argument peut tout aussi bien être tourné autrement. Luc 1.32 dit que Jésus est Fils de Dieu donc Luc 3.22 ne doit pas être interpréter comme ayant un caractère adoptianisme... Ehrman avance encore d'autres arguments, par exemple il dit qu'en Actes 13.33 la mention de la parole "je t'ai engendré aujourd'hui" soutient l'adoptianisme par rapport à la résurrection.
Actes 13.33 Dieu l'a accomplie pour nous leurs enfants, en ressuscitant Jésus, selon ce qui est écrit dans le Psaume deuxième: Tu es mon Fils, Je t'ai engendré aujourd'hui.
Simon J. Gathercole a fait une réponse à Ehrman et soulève plusieurs point :
En Actes 13.33 la citation "je t'ai engendré aujourd'hui" est une citation du Psaume 2.7 et les citations de l'Ancien Testament ne sont pas toujours à prendre au pied de la lettre.
En Actes 1.20 St Pierre applique à Judas le Psaume 69.25 mais ce verset concerne plusieurs personnes et pourtant l'apôtre l'utilise uniquement pour Judas.
En Actes 2.20 St Pierre cite Joël 2.31 qui dit la chose suivante "Le soleil se changera en ténèbres, Et la lune en sang, Avant l'arrivée du jour de l'Eternel, De ce jour grand et terrible" et pourtant aucun de ses événements ne c'est produits, l'apôtre cherche juste à montrer qu'ils vivent un événement étonnant venant de Dieu. La même approche doit être adoptée pour Actes 13.33. [19]
La parole "je t'ai engendré aujourd'hui" que l'on trouve en Luc 3.22 et Actes 13.33 ne doit donc pas être comprise comme signifiant que Jésus est devenu Fils de Dieu au baptême ou Seigneur à la résurrection. Ce qu'il faut comprendre c'est que Dieu se sert d'un ou de plusieurs événements pour démontrer qui est Jésus. Au baptême Dieu démontre que le Christ et son Fils et avec la résurrection il démontre que le Christ est Seigneur. Cet argument rejoint ce que dit St Paul dans son épitre aux Romains :
Romains 1.1 Paul, serviteur de Jésus Christ, appelé à être apôtre, mis à part pour annoncer l'Évangile de Dieu, - 2 qui avait été promis auparavant de la part de Dieu par ses prophètes dans les saintes Écritures, 3 et qui concerne son Fils (né de la postérité de David, selon la chair, 4 et déclaré Fils de Dieu avec puissance, selon l'Esprit de sainteté, par sa résurrection d'entre les morts), Jésus Christ notre Seigneur,
St Paul précise que Dieu a déclaré Jésus "Fils de Dieu", c'est dans ce même sens que St Luc utilise l'expression "engendré aujourd'hui".
Les critiques de Weeden à propos de l'évangile de Luc sont basés sur le travail d'Alexander Loveday qui tente de démontrer que la préface de l'évangile correspond non pas à une préface historique mais à des traités scientifiques. Loveday ne fait pas cette revendication dans le même objectif que Weeden. Weeden reprend ces arguments pour mettre en contradiction le prologue avec le reste de l'évangile dans le but de revendiquer une incohérence qui pourrait s'expliquer par le fait que les chapitres 1 et 2 sont des ajouts. Les arguments de Loveday peuvent être résumés quatre points :
Il est de coutume qu'un historien présente son travail et son origine, St Luc ne le fait pas.
La préface de l'évangile de Luc est très courte (42 mots) et de par sa brièveté correspond mieux aux préfaces scientifiques qu'aux préfaces historiques qui sont d'ordinaires plus longues.
L'auteur de l'évangile fait une dédicace (à Théophile) ce qui n'est pas habituel pour un historien.
La thématique d'un historien et la vérité et ne correspond pas à l'évangile de Luc.
Plusieurs objections doivent être faites à l'affirmation de Loveday Alexander. Premièrement comme l'a souligné David Aune il est possible que la différence entre les préfaces historiques et scientifiques ne soient en réalité qu'une fausse dichotomie [20]. Deuxièmement les affirmations de Loveday Alexander ont été fortement contestées par Sean A. Adams [21] qui en une quinzaine de pages comme nous avons le voir, à réussi a mettre en lumière toutes les limites du postulat de Loveday Alexander.
1. Un historien doit-il se présenter et présenter son origine ?
Bien que des historiens comme Thucydide, Herodote et Hécatée de Milet commence leurs ouvrages par une présentation d'eux même à la troisième personne, d'autres comme Plutarque dans Thésée et Flavius Josèphe dans les Antiquités ne prennent pas soins de se présenter :

Adams précise que Xénophon, Diodore de Sicile, Denys d'Halicarnasse et d'autres "ne commencent pas leur ouvrage par une introduction à la troisième personne et ne mentionnent même pas leur nom tout au long de leur œuvre".
2. La brièveté du prologue de l'évangile de Luc.
Adams a brillamment montré que beaucoup de préfaces d'oeuvres historiques ne sont pas des longues préfaces. Pour sa démonstration Adams a comparé les nombres de mots dans une oeuvre (ou plus) puis le nombre de mots dans la préface, voici les résultats :
Évangile de Luc, 19 518 mots dont 42 pour la préface, soit un pourcentage de 0.215
Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, 488 790 mots dont 1652 pour la préface, soit un pourcentage de 0.338
Hérodote, Histoire, 201 500 mots dont 675 pour la préface, soit un pourcentage de 0.335
Flavius Josèphe, toutes oeuvres confondues, 444 545 mots dont 1 174 pour les préfaces, soit un pourcentage de 0.264
Plutarque, Thésée, 74 834 mots dont 176 pour la préface, soit un pourcentage de 0.235
Polybes, Histoire, 340 318 mots dont 429 pour la préface, soit un pourcentage de 0.126
Thucydide, Histoire de la guerre du péloponnèse, 160 949 mots dont 3 490 pour la préface, soit un pourcentage de 2.168
Xénophon toutes oeuvres confondues, 237 550 mots dont une préface de 29 mots, soit un pourcentage de 0.012
3. La dédicace à Théophile.
La dédicace n'est pas une preuve contre une préface historique, bien que peu courante chez les historiens on en trouve des exemple chez Plutarque et Flavius Josèphe :

4. La thématique de St Luc à travers son prologue.
St Luc explique la thématique dans son prologue, il s'agit de la vérité (Luc 1.4 afin que tu reconnaisses la certitude/vérité des enseignements que tu as reçus). La vérité est un thème courant chez les historiens antiques, Thucydide l'exprime très bien lorsque qu'il dit dans son prologue qu'il s'est efforcé de restituer le plus exactement possible la pensée complète des paroles prononcées qu'il rapporte. Plutarque nous parle de récits qui s'appuient sur des faits historiques certains. Dennys d'Halicarnasse loue la valeur de la vérité dans son prologue et Flavius Josèphe nous rapporte que ceux qui aiment la vérité ne peuvent s'empêcher de la mettre par écrit tout comme St Luc :

Le dernier augment concerne le style des chapitres 1 et 2. Jonathan Pearce a même cité Craig Blomberg qui reconnait que le style des chapitre 1 et 2 différent du reste de l'évangile. Voici la citation de Pearce :
D'un point de vue linguistique, Luc 1:5-2:52 est très différent du reste de Luc(-Actes). Même Craig Blomberg en est conscient :
Abruptement, avec 1:5, Luc adopte une forme d'écriture grecque très sémitique. À partir du chapitre 3, il utilise la koiné standard, bien qu'avec un peu plus d'art littéraire que les autres évangélistes, mais pas avec autant d'élégance que la préface ou avec un style hébraïque comme le reste [des chapitres 1-2].
Craig Blomberg, Jesus and the Gospels : Introduction and Survey, p.202
Nous avons ici un exemple parfait de ce qu'est un sophisme, Blomberg dit effectivement que le style diffère mais il le dit dans un tout autre sens. regardons la suite du commentaire de Blomberg que Pearce à (volontairement?) omis :
Ce style a souvent soulevé la question de savoir si Luc ne traduisait pas ici des documents écrits en hébreu ou en araméen. Étant donné que la plupart de ces informations devaient provenir des plus proches parents de Jésus, la suggestion n'est pas improbable. En effet, les chapitres 1-2 de Luc reflètent les perspectives d'Élisabeth et de Marie plus que celles des personnages masculins, ce qui conduit à penser que Luc a interviewé quelqu'un comme Marie elle-même.
Pris dans son ensemble le propos de Blomberg apporte une tout autre approche du problème. La différence de style n'est donc plus un argument pour soutenir un ajout tardif mais au contraire serait une preuve que St Luc a utilisé une ou des source(s) qu'il a traduit en grec pour son récit. En effet si St Luc a utilisé des sources en langue hébraïque il est tout à fait normal que le style diffère de la suite de son évangile mais nous devons pas nous contenter de ce postulat, il faut le développer. Dans ma réponse je vais soutenir que les chapitres 1 et 2 reflète un judaïsme qui correspond bien au 1er siècle et que les chapitres 1 et 2 possèdent bien le style "lucanien" que l'on retrouve dans le reste de ses écrits.
St Luc dans le chapitre 1 nous raconte l'annonce de la naissance de Jean Baptiste, dans cette annonce il nous parle de Zacharie le père de Jean Baptiste. St Luc précise que Zacharie appartenait à la classe sacerdotale d’Abiya et qu'il était actif dans le temple. La mère de Jean Baptise est aussi mentionné et St Luc précise qu'elle était descendante d'Aaron. Plus loin il parle de l'annonce de la naissance de Jésus et précise que Josèphe descend de David et le fils à naître (Jésus) régnera sur le trône de David. Ces mentions peuvent refléter l'attente messianique des ésséniens. Dans le documents de Damas nous trouvons un texte qui peut être mis en parallèle avec l'annonce de Jean Baptise et de Jésus :
Document de Damas 19.33
Tel est le sort de tous les hommes qui entrèrent dans la nouvelle alliance 34 au pays de Damas, puis se ravisant, s'écartèrent perfidement de la source d'eau vive. 35 ils ne seront pas comptés dans l'assemblée du peuple, et leurs noms ne seront pas inscrits dans le registre depuis le jour 20.1 de la mort du Maître bien-aimé jusqu'à l'avènement du Messie d'Aaron et d'Israël.
Le texte mentionne clairement deux Messies, l'un d'Aaron et l'autre d'Israël. Un autre document (4Q252 5.1-7) ,nous parle explicitement du Messie qui descend de David.
Nous pouvons donc voir une attente d'un Messie d'Aaron et d'un autre d'Israel plus précisément de David, il est donc possible que St Luc ait rapporté les précisions sur Jean Baptiste et la naissance de Jésus pour répondre à l'attente des ésséniens. Certains spécialistes ne sont pas convaincu par ces parallèles mais d'autres comme John Bergsma sont d'avis qu'il y a bien un lien entre les récits de l'enfance et Qumran "quand on lit l'Évangile avec des yeux esséniens, on voit que Jean ressemble beaucoup au -Messie d'Aaron-, un Messie sacerdotal qui -oint le Saint des Saints-, c'est-à-dire Jésus lui même, lequel remplace le Temple. À Jésus revient alors le rôle du Messie d'Israël, et Luc inclut la généalogie davidique de Jésus pour faire passer le message"[22].
Dans le récit de l'annonce de Jésus un autre élément vient se mettre en parallèle avec un texte de Qumran :

Les deux textes du dessus sont très similaires car ils mentionnent tous deux qu'un personnage sera appelé fils du Très-Haut et Fils de Dieu et l'un sera grand et l'autre appelé grand. Le texte de Luc fait bien évidement référence à Jésus mais pour le 4Q246 les spécialistes sont divisés. Certains pensent qu'il s'agit d'un personnage mauvais terrestre ou céleste [23] et d'autre d'un personnage Messianique [24]. Quoi qu'il en soit St Luc n'invente clairement pas langage nouveau mais reprend un thème connu chez les juifs au tournant de notre ère pour l'appliquer à Jésus. Toujours dans le chapitre 1 St Luc rapporte deux passages connus sous les noms de Magnificat et Benedictus. Le Magnificat apparait en Luc 1.46-55 et est prononcé par Marie tandis que le Benedictus apparait en Luc 1.68-79 et est prononcé par Zacharie. Stephen Hultgren [25] soutient que le Magnificat et le Benedictus proviennent de juifs-chrétiens issus des cercles de hassidim. Hultgren a établit des parallèles avec le 4Q521 qui d'après lui viendrait aussi des cercles de hassidim :
Luc 1.52 montre une attention pour les humbles - 4Q521 2.2.6 montre aussi une attention pour les humbles
Luc 1.69 met en avant la figure messianique de Jésus - 4Q521 2.2.1 met en avant une figure messianique
Luc 1.75 met en avant le service à Dieu - 4Q521 2.2.3 met aussi en avant le servie à Dieu
Le Magnificat (en particulier) et le Benedictus ont été influencés par le langage et la conceptualité générale du Cantique d'Anne en 1 Samuel 2.1-10 - 4Q521 2.2.7-13 a lui aussi été influencé par 1 Samuel 2.1-10
Ensuite un autre texte peut lui aussi éclairer le Magnificat et le Benedictus, le 4Q365 possède un passage fragmentaire connu sous le nom du "chant de Miriam" qui est similaire à ce que sont le Magnificat et le Benedictus :

Hultreng commente ce passage de la sorte :
George J. Brooke [...] a souligné un autre parallèle important au chant de Marie dans le chant de Miriam dans 4Q365 6.2.3, où Miriam appelle Dieu "grand" et un "sauveur" dans le contexte de l'exode. Bien qu'aucune dépendance directe de Luc sur 4Q365 ne puisse être démontrée, il ne serait pas surprenant que l'auteur judéo-chrétien du Magnificat ait écrit son chant de Marie (Miriam) en réflexion consciente d'un chant tel que celui-ci chanté par une autre Miriam. [26]
John Bergsma qui soutient lui aussi que le Magnificat et le Benedictus proviennent de sources hébraïques (écrite ou orale?) traduites par St Luc nous dit que l'expression "se souvenir de sa miséricorde" en Luc 1.54 est une expression hébraïque qui n'évoque rien en grec, "miséricorde (hesed en hébreux)" et "alliance (berith en hébreux) sont parfois synonymes en hébreux et "se souvenir de sa miséricorde" signifie "se souvenir de son alliance"[27]. On peut aussi rebondir sur ce qu'à dit Craig Blomberg dans la citation ci-dessus à savoir que St Luc aurait Marie comme source pour les chapitre 1 et 2. Le verset de Luc 2.19 dit que "Marie gardait toutes ces choses, et les repassait dans son coeur" ce qui comme le souligne Brandon D. Crowe "semble être le genre d'information personnelle qui est plus susceptible de provenir d'une rencontre plus directe avec Marie elle-même que d'un morceau de tradition circulante [28]".
Le chapitre 2 a lui aussi des parallèles avec les textes de Qumran, par exemlpe au verset 14 les spécialistes étaient divisés sur la question de savoir comment lire est traduire une partie du verset. Certains ms lisent "bienveillance sur les hommes" et d'autres "les hommes de bienveillance", un texte découvert à Qumran, le 1QH IV 32 a permis de trancher le débat et de comprendre comment traduire correctement le verset. En effet dans ce texte nous retrouvons l'expression identique à "les hommes de bienveillance" et elle nous permet de comprendre qu'il ne s'agit pas de tous les hommes mais de ceux qui reçoivent la faveur de Dieu, le verset de Luc 2.14 doit donc être traduit "aux hommes objets de sa bienveillance". L'expression utilisé par St Luc s'avère être une expression typiquement juive [29].
Ce type de parallèle existe aussi dans la suite de l'évangile ce qui montre une continuité avec les chapitres 1 et 2. En Luc 4.16-20 le Christ va s'appliquer la prophétie d'Isaïe 61.1-2, prophétie que l'on retrouve dans le 11Q13 et qui annonce le retour de Melchisédech :

De plus au verset 17 St Luc dit qu'on remit à Jésus "le livre du prophète Isaïe (βιβλίον τοῦ προφήτου Ἠσαΐου), cette expression pour désigner le livre d'Isaïe n'existe nul part ailleurs dans des sources grecs (LXX, Josèphe, Philon etc) mais comme le souligne R. Steven Notley on la retrouve dans son équivalent hébreux "ספר ישעיה הנביא" dans le 4Q174 ; 4Q176 ; 4Q265 et 4Q285 [30]. St Luc utilise donc ici un hébraïsme, chose qu'il fait à plusieurs reprises dans son évangile comme la démontré Notely [31]. Un dernier exemple est la division que fais St Luc des livres de l'ancien testament en trois parties en Luc 24.44 "loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes" et similaire à ce que l'on retrouve dans le 4QMMT 95 qui dit "Nous vous avons écrit que vous devez comprendre le livre de Moïse [... pro]phets et de David [...].[32]". Il apparait donc clairement que les éléments du chapitre 1 et 2 ne possèdent aucune caractéristiques qui devraient nous pousser à conclure que ces chapitres des ajouts tardifs.
Le dernier élément qu'il nous reste à voir concerne les points communs entre les chapitres 1 et 2 avec le reste de l'évangile et les Actes, car si un auteur à tardivement rajouté les chapitres 1 et 2 on ne devrait pas avoir beaucoup de lien avec la suite.
Tout d'abord revenons à l'affirmation d'Erhman selon laquelle Luc 3.1 ressemble à un début d'évangile. Bien que l'affirmation d'Ehrman pourrait être vraie on peut trouver un contre exemple chez Flavius Josèphe qui utilise dans son ouvrage GJ 2.14-4 des synchronisme en plein milieu de son récit. En fait Luc 3.1 ne doit pas être comprit comme le début de l'évangile mais comme une nouvelle partie dans le corps de l'évangile. Juste après son prologue St Luc va parler de l'annonce des naissances de Jean Baptiste et Jésus et pour introduire son récit il va utilisé un synchronisme "aux jours d'Hérode roi de Judée", puis quand il va raconter la naissance de Jésus au chapitre 2 il va utiliser un autre synchronisme "pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie", et ensuite chapitre 3 lorsqu'il va raconter une nouvelle partie, à savoir Jean Baptiste et Jésus adulte il va utiliser les synchronismes "La quinzième année du règne de Tibère César, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée ; Hérode, tétrarque de la Galilée ; Philippe, son frère, tétrarque de l'Iturée et du pays de la Trachonitide, et Lysanias, tétrarque de l'Abilène ; 2 au temps des grands prêtres Anne et Caïphe". Le début du chapitre 3 suit la logique des chapitres précédents non seulement dans sa façon d'introduire les récits mais aussi à travers l'ordre car comme le souligne James R. Edwards St Luc commence par Jean Baptiste puis parle de Jésus pour ensuite au chapitre 3 resuivre le même ordre en commençant par Jean Baptiste puis par Jésus "Luc fait la transition vers le corps de l'Évangile dans le même style saute-mouton qu'il a utilisé dans le récit de l'enfance : ainsi, la jeunesse de Jean en 1:80 est absente en 2:1-52 et reprend en 3:1-20 ; la jeunesse de Jésus en 2:40-52 est absente en 3:1- 20 et reprend en 3:21-22.136 [33].
Et un bon nombres de parallèles peuvent être établit :
En Luc 1.1 il y a le terme "ἐπιχειρέω (entreprendre)" qui n'apparait qu'à trois reprises dans le NT, une fois en Luc et deux fois dans les Actes, 9.29, 19.13
En Luc 1.3 il y a le terme "καθεξῆς (d'une manière suivie)" qui apparait 5 fois dans le NT, 2 fois en Luc, 1.3 et 8.1 puis 3 fois en Actes, 3.24, 11.14, 18.23
En Luc 1.3 St Luc utilise le terme "κράτιστος (excellent)" pour s'adresser à Théophile, ce terme apparait à 4 reprises dans le NT et est systématiquement utilisé par St Luc pour nommé des personnes, 1 fois pour Théophile Luc 1.3, 2 fois pour Félix Actes 23.26 et 24.3 et 1 fois pour Festus Actes 26.25
En Luc 1.32,35 et 76 St Luc utilise le génitif " ὑψίστου (Très-Haut)", ce terme apparait à 5 autres reprises au génitif dans le NT dont 3 fois dans les écrits de St Luc, Luc 6.35, 8.28 et Actes 16.17
En Luc 1.35 il y a le terme "ἐπέρχομαι (venir, survenir, arriver)" qui est utilisé pour décrie le St Esprit qui va descendre sur Marie, le terme "ἐπέρχομαι" apparait 10 fois dans le NT, 1 fois en Éphésiens, 1 fois en Jacques et 8 fois dans les écrits de St Luc et "ἐπέρχομαι" est utilisé de la même façon qu'en Luc 1.35 lorsque St Luc parle du St Esprit qui descend sur les apôtres en Actes 1.8, aucun autre texte du NT n'associe le St Esprit au terme " ἐπέρχομαι"
Toujours Luc 1.35, le St esprit est associé à la puissance de Dieu comme en Luc 24.49, aucun autre évangile ne fait cette association
En Luc 1.68 il est dit que Dieu a visité Israel, le seul autre endroit du NT où une parole similaire apparait est en Luc 7.16 où la foule dit que Dieu a visité son peuple
En Luc 1.77 le terme "ἄφεσις (pardon/rémission)"est utilisé, Ce terme apparait une fois en Matthieu, deux fois en Marc, une fois en Éphésiens, 1 fois en Colossiens, deux fois en Hébreux, 5 fois en Luc et 5 fois en Actes, St Luc est l'auteur qui utilise le plus ce terme
En Luc 2.1 il y a le terme "δόγμα (un édit, une décision, prescription, ordonnance )" qui est utilisé en référence à un édit romain, ce terme se retrouve 5 fois dans le NT, 1 fois en Luc, 2 fois en Actes, 1 fois en Éphésiens et 1 fois en Colossiens mais la seule fois en dehors de Luc 2.1 où ce terme est utilisé en référence à un édit romain c'est en Actes 17.7
En Luc 2.2 St Luc appelle Quirinius "ἡγεμονεύω (gouverneur)", ce terme apparait à une seule autre reprise, en Luc 3.1 lorsque St Luc parle de Pilate
En Luc 2.9 St Luc utilise le terme "περιλάμπω (resplendir)" qui apparait une seule fois ailleurs, en Actes 26.13
En Luc 2.14 il y a l'expression "Gloire à Dieu dans les lieux très hauts", lorsque l'expression "dans les lieux très très hauts" est utilisée en Matthieu et Marc elle est associé avec le terme "hosanna" et non "gloire". Le seul autre endroit ou cette expression est utilisé avec le terme "gloire" est en Luc 19.38 ce qui reflète un langage typiquement lucanien
En Luc 2.25 St Luc utilise le terme "εὐλαβής (pieux)" qui apparait à deux autres reprises dans le NT, en Actes 2.5 et 8.2
En Luc 2.30-32 on retrouve les thèmes du salut et de la lumière pour les nations, ces thèmes sont typiquement Lucanien et on les retrouves en Luc 3.6, Actes 13.47, 26.23 et 28.28. Le plus proche est Actes 13.47 qui contient exactement les thèmes du salut, de la lumière et des nations comme Luc 2.30-32 et qu'on ne retrouve nul part ailleurs dans le NT
En Luc 2.36 nous retrouvons le terme "ἔτος (ans/années)", ce terme se retrouve à quatre reprise dans le chapitre 2 (v36,37,41,42), nous le retrouvons en tout 49 fois dans le NT, 1 fois dans Matthieu, 2 fois dans Marc, 3 fois dans Jean, 6 fois dans les épitres pauliniennes ( 1 fois dans Romains, 1 fois en 2 Corinthiens, 3 fois en Galates et 1 fois en 1 Timothée), 3 fois en Hébreux, 2 fois en 2 Pierre et 6 fois dans l'Apocalypse mais les écrits qui utilisent le plus ce terme son l'évangile de Luc car en dehors du chapitre 2 nous le retrouvons 11 fois et 11 fois dans les Actes. D'ailleurs en Luc 2.42 le terme est utilisé pour décrire l'age de Jésus lorsqu'il apparait comme actif la fois première dans Luc (12 ans) et il est utilisé lorsque Jésus réapparaît plus tard pour commencer son ministère (30ans). Ce qui est cohérent, les deux fois où Jésus apparait publiquement son âge est mentionné par St Luc chose que ne font pas Matthieu, Marc et Jean. La seule autre indication concernant l'âge de Jésus provient de Jean 8.57 où un pharisien dit à Jésus "tu n'as pas encore 50ans".
En Luc 2.48 St Luc utilise le terme "ὀδυνάω (souffrance)", les trois autres attestations de ce terme sont dans les écrits de St Luc, Luc 16.24 et 25, Actes 20.38
En Luc 2.51 il y a le terme "διατηρέω (garder)" qui apparait à une seule autre reprise, en Actes 15.29
En Luc 3.2 St Luc parle de Jean Baptiste en le nommant "Jean fils de Zacharie", dans les passages parallèles en Matthieu et Marc, Jean n'est pas appelé "fils de Zacharie", la raison qui a poussé St Luc à rajouter "fils de Zacharie" est très probablement le fait qu'il a parlé de Zacharie le père de Jean juste avant contrairement à l'évangile de Matthieu et de Marc qui n'évoque pas Zacharie
Avec tout ces parallèle nous pouvons être confiant sur le fait que St Luc à bien revendiquer un travail d'historien se basant sur des témoignages oculaire. Quand à l'authenticité des chapitres 1 et 2 elle bien plus probable que l'inverse.
Bruno Bioul, Les Évangiles à l’épreuve de l’histoire, p207
Bruno Bioul, Les Évangiles à l’épreuve de l’histoire, pp209-210
Joseph Fitzmyer, The Gospel According to Luke, Tome 1 p292
John J. Peters, Luke’s Source Claims in the Context of Ancient Historiography
Ibib
Richard Pervo soutient que le livre des Actes est un roman et pour soutenir son point de vu il compare les Actes avec divers romans ou des Actes apocryphes, cependant comme la très bien expliqué C.Keener Pervo compare les Actes avec des romans qui ont été écrits bien après l'histoire du personnage qu'ils racontent. De plus les Actes apocryphes qu'utilise Pervo ne peuvent servirent de base juger St Luc car ça relève d'un l'anachronisme. Pour une critique détaillé voir Craig Keener, Acts an exegetical commentary volume 1, pp51-115 ; pour une réponse sur la datation des Acts voir l'étude récente de Karl L. Armstrong, Dating Acts in its Jewish and Greco-Roman Contexts.
John Moles, Luke's Preface: The Greek Decree, Classical Historiography and Christian Redefinitions, p483
https://www.academia.edu/17548630/LE_PROLOGUE_DE_LUC_EST_IL_AUTHENTIQUE_?auto=download
Theodore J. Weeden Sr, Polemics as a Case for Dissent: A Response to Richard Bauckham’s Jesus and the Eyewitnesses
https://ehrmanblog.org/did-luke-originally-have-chapters-1-2/ ; https://ehrmanblog.org/lukes-first-edition-for-members/ ; https://ehrmanblog.org/more-arguments-over-luke-322-for-members/
Cité par Ben Witherington dans The Acts of The Apostles chap1 note 33
Charles E. Hill, Who Chose the Gospels ? p214
Andrew W. Pitts, Biography, History, and the Genre of Luke-Acts in Journal of Biblical Literature, Volume 139, Number 2, 2020, p357
Robert Alan King, Textual Criticism of Luke 3.22 A Response to Bart Ehrman
Je fais référence à l'édition Nestle Aland 28e edition, le Tyndale House Greek New Testament, au Greek New Testament SBL et au New Testament in the original greek byzantine textform
Voir le chapitre 5 de Simon J. Gathercole dans le livre "A Response to Bart Ehrman"
Richard Bauckham, Jesus and the Eyewitnesses : The Gospels as Eyewitness Testimony, p118
Sean A. Adams, JGRChJ 3 (2006), pp177-191
John Bergsma, Jésus et les manuscrits de la mer Morte, pp43-44
Pour une défense du point de vu en faveur du personnage mauvais et céleste voir Michael Segal, Who is the "Son of God" in 4Q246 ? An Overlooked Exemple of Early Biblical Interpretation
Pour une défense du point de vu en faveur d'un personnage messianique voir Peter Schäfer, Two Gods in Heaven, pp 38-44
Stephen Hultgren, 4Q521 And Luke's Magnificat and Benedictus in Echoes from the Caves : Qumran and the New Testament
Ibid
John Bergsma, Jésus et les manuscrits de la mer Morte, pp67-68
Brandon D. Crowe, The Sources for Luke and Acts, p83
Gregory E. Sterling, Encyclopedia of the Dead Sea Scrolls, p497
R. Steven Notley, Non-Septuagintal Hebraisms in the Third Gospel: An Inconvenient Truth in The language Environment of First Century Judaea
Ibid
Georges Brooke, The Dead Sea Scrolls andtheNew Testament, chap 9 ; Ce passage est généralement considéré comme parallèle avec celui de Luc bien que les deux auteurs n'aient forcément la même interprétation, il est possible que le 4QMMT fasse seulement référence à quelques livres bien précis et non à une liste, voir l'article de Katell Berthelot "4QMMT et la question du canon de la Bible hébraïque dans From 4QMMT to Resurrection" ; voir aussi l'article "The Canon and the Cult: The emergence of book religion in Ancient Israel and the gradual sublimation of the temple cult" de Konrad Schmid
Voir le commentaire de James R. Edwards sur Luc 2.46-52 dans "The Gospel According to Luke"
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