L'église responsable de l'esclavage des peuples subsahariens ?
- ProEcclesia bloger
- 12 oct. 2024
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Dernière mise à jour : 14 oct. 2024

Nous entendons souvent que l'église catholique est responsable de la traite transatlantique notament à cause du Pape Nicholas V et de ses bulles Dum Diversas et Romanus Pontifex. Voici les textes de ces deux bulles :
Dum Diversas : Par les présentes Nous vous accordons [aux rois d'Espagne et du Portugal], de par Notre autorité apostolique, permission complète et libre d'envahir, de rechercher, de capturer et de soumettre les Sarrasins et les païens et tous les autres incroyants et ennemis du Christ où qu'ils puissent être, ainsi que leurs royaumes, duchés, comtés, principautés et autres biens [...] et de réduire leurs personnes en servitude perpétuelle.
Romanus Pontifex: Nous avions jadis, par de précédentes lettres, concédé au Roi Alphonse du Portugal, entre autres choses, la faculté pleine et entière d’attaquer, de conquérir, de vaincre, de réduire et de soumettre tous les sarrasins, païens et autres ennemis du Christ où qu’ils soient, avec leurs royaumes, duchés, principautés, domaines, propriétés, meubles et immeubles, tous les biens par eux détenus et possédés, de réduire leurs personnes en servitude perpétuelle, (...) de s’attribuer et faire servir à usage et utilité ces dits royaumes, duchés, contrés, principautés, propriétés, possessions et biens de ces infidèles sarrasins et païens
Ces deux textes sont généralement utilisés sans contextes dans l'unique but de rendre l'église responsable de l'esclavage des africains subsahariens comme on peut le voir sur des sites panafricains ou kémites qui évoquent ces textes avec des titres comme "Le Vatican autorise l’esclavage des noirs" ou "8 janvier 1454, l'église catholique et le pape Nicolas V bénissent l'esclavage et la traite négrière" et des contenus voulant expliquer qu'un descendant de la traite ne doit pas être catholique. Mais qu'en est-il réellement ? Pour répondre à cette question je vais reprendre le récent ouvrage (The Worst of Indignities: The Catholic Church on Slavery) de Paul Allan Kengor qui est un professeur de science politique au Grove City College en Pennsylvanie [1].
Lorsque Kengor analyse les deux bulles il commence par rappeler quelques points importants : Les deux bulles se démarquent comme étant un point d'interrogation voir une exception au bilan de l'église sur l'esclavage, il y'a un cruel manque d'érudition réfléchie sur ces textes et elles ont été écrites dans le contexte de la chute de Constantinople 1453 par les musulmans. Kengor continue en expliquant qu'il a contacté une centaine d'érudits catholiques et que les quelques érudits qui les connaissent ne savent pas ce que voulait réélement dire Nicholas V. Étant donné l'incertitude sur ce sujet Kengor rapporte plusieurs interprétations possibles (et possiblement complémentaires) :
Le pape a été trompé par le prince Henri le navigateur qui a présenté au Pape un intérêt religiuex de lutter contre les musulmans et de répandre l'évangile alors que lui (Henri) cherchait un intérêt économique. Le pape était alors déconnecté de la situation réelle lorsqu'il a fait les bulles.
Ce que disent les deux bulles ne s'appliquent pas en tout temps et en tout lieu, c'était unique à la situation.
L'église a toujours condamné l'asservissement de personnes libres et innocentes mais pendant de nombreux siècles a suivi le droit international primitif (ius gentium) qui autorisait l'esclavcage comme punition, soit pour les criminels ou les prisoniers capturés pendant une guerre. C'est dans cette optique que Nicholas V écrivait notamment pour lutter contre les sarrasins armés qui luttait contre la chrétienté. Au final Nicholas V n'autorisait l'asservissement des innocent mais voulait, il tentait de régler le problème des prisonniers capturés qu'il ne voulait pas voir emprisonnés ou exécutés.
Il est possible que le latin "illorumque personas in perpetuam servitutem redigendi (et de réduire leurs personnes à une servitude perpétuelle)" avait pour signification "servitude à l'autorité royale d'Alphonse" et non d'un commerce d'esclave car le texte ne fait aucune mention d'achat ou de vente d'esclaves.
Ces différentes interprétations possibles montrent qu'il est très compliqué d'interpréter les bulles de Nicholas V. Ce qu'on doit retenir c'est que même si l'on suit l'interprétation la plus dure des deux bulles on est obligé de reconnaitre qu'elles ne font aucune mention d'une distinctions entre des hommes selon leurs couleurs de peaux et que le problème est politique et non racial contrairement à ce qu'affirment certains site. De plus si l'église est responsable de l'esclavage comment expliquer que l'esclavage a été condamné avant et après les bulles de Nicholas V ?
Pape Eugène IV en 1435 (a condamné le premier esclavage européen connu d'Africains libres et innocents) :
"Sous peine d’excommunication, tout maître d’esclave a quinze jours à compter de la réception de la bulle pour rendre leur liberté antérieure à toutes et chacune des personnes de l’un ou l’autre sexe qui étaient jusque-là résidentes desdites îles Canaries [...] Ces personnes devaient être totalement et à jamais libres et devaient être relâchées sans exaction ni perception d’aucune somme d’argent. "
Pape Paul III dans Sublimis Deus en 1591 :
Nous qui, bien qu'indigne de cet honneur, exerçons sur terre le pouvoir de Notre-Seigneur et cherchons de toutes nos forces à ramener les brebis placées au-dehors de son troupeau dans le bercail dont nous avons la charge, considérons quoi qu'il en soit, que les Indiens sont véritablement des hommes et qu'ils sont non seulement capables de comprendre la Foi Catholique, mais que, selon nos informations, ils sont très désireux de la recevoir. Souhaitant fournir à ces maux les remèdes appropriés, Nous définissons et déclarons par cette lettre apostolique, ou par toute traduction qui puisse en être signée par un notaire public et scellée du sceau de tout dignitaire ecclésiastique, à laquelle le même crédit sera donné qu'à l'original, que quoi qu'il puisse avoir été dit ou être dit de contraire, les dits Indiens et tous les autres peuples qui peuvent être plus tard découverts par les Chrétiens, ne peuvent en aucun cas être privés de leur liberté ou de la possession de leurs biens, même s'ils demeurent en dehors de la foi de Jésus-Christ ; et qu'ils peuvent et devraient, librement et légitimement, jouir de la liberté et de la possession de leurs biens, et qu'ils ne devraient en aucun cas être réduits en esclavage ; si cela arrivait malgré tout, cet esclavage serait considéré nul et non avenu.
Pape Innocent XI dans l'instruction 230 en 1686 :
S’il est permis de capturer par la force et la duperie des noirs ou autres indigènes qui n’ont porté préjudice à personne?
Réponse : non.
S’il est autorisé d’acheter, de vendre ou de faire des contrats en tout respect des noirs ou autres indigènes qui n’ont pas porté préjudice à personne et n’ont rien fait et qui ont été faits captifs par la force de la duperie?
Réponse : non
Si les propriétaires de Noirs et autres natifs qui n’ont porté préjudice à personne et ont été capturés par la force ou la ruse, doivent les remettre en liberté ?
Réponse: Oui
Il est donc tout à fait évident que l'église n'est pas responsable de la traite transatlantique. Les deux bulles ne sont pas des preuves suffisantes pour arriver à une telle conclusion, comme le dit Paul Kengor "tout érudit moderne qui cherche à élever ces deux déclarations (les deux bulles de Nicholas V ndlr) au-dessus de tout le reste fait preuve d'une injustice flagrante. Ce n'est pas de l'érudition. (p34)"
Bonjour,
il est également important de savoir que, au temps de Cicéron par exemple, servitus, tis voulait dire esclavage,
mais plus au temps de Nicholas V.