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Fausse annonce de la passion ?



Dans les synoptiques le Christ fait trois annonces claires de sa mort et résurrection (Matthieu 16.21 ; 17.22-23 ; 20.18-19), (Marc 8.31-33 ; 9.30-32 ; 10.32-34), (Luc 9.22 ; 9.43-44 ; 18.31-34). On peut aussi rajouter (entre autre) l'institution de l'eucharistie comme annonce de la mort de Jésus (Matthieu 26.21-32 ; Mark 14.18-28 ; Luc 22.15-20).

Ces annonces sont considérés comme problématiques dans le dialogue intereligieux car si le Christ a bel et bien annoncé sa mort et sa résurrection, comment les apôtres ont ils pu douter et avoir du mal à comprendre que le Christ devait mourir et revenir à la vie ? Et pourquoi ce sont ils enfuis pendant son procès alors que Jésus les avait prévenus ? Certains spécialistes ont mis en avant ce "problème". Par exemple Geza Vermès dit au sujet du comportement des apôtres et des annonces de la passion qu'elles sont "deux ensembles d'évidences qui se contredisent, sans possibilité de réconciliation [1]".

Toutefois d'autres spécialistes ne rejettent pas les récits de l'annonce de la passion. Sur ce sujet je rejoint Dale Allison qui a fait un commentaire très intéressant :

Les gens ne sont pas toujours à la hauteur de leurs idéaux et de leurs attentes envers eux-mêmes. Ils peuvent décider de faire une chose, puis d'en faire une autre. Il s'agit en effet d'une triste réalité bien trop courante, comme l'a observé Paul : « Je ne fais pas le bien que je veux » (Rom. 7 : 19). Pierre et ses collègues étaient-ils au-dessus de cette généralisation ? Même les soldats armés pour le combat se retournent parfois et s’enfuient. Le fait que Pierre ait nié connaître Jésus (Mc 14 :66-72) ne signifie pas qu’il ne le connaissait pas, et que les disciples ont hésité face à l’hostilité armée n’implique guère que Jésus ne les ait jamais avertis de s’attendre à de graves problèmes. La vie en dehors des textes est rarement noire ou blanche, et notre ignorance de ce que pensaient et ressentaient les disciples de Jésus au moment précis où leur chef a été arrêté est proche de l’océan. Peut-être que si les circonstances avaient été légèrement différentes, ils ne se seraient pas enfuis. Si, par exemple, quelques-uns d’entre eux avaient clamé haut et fort leur courage et tenu bon, peut-être que les autres auraient suivi. Ou peut-être que l'arrestation au milieu de la nuit a vraiment déconcerté les esprits somnolents, et si la situation avait été différente, au point qu'ils avaient pu se préparer pleinement à l'avance, ils n'auraient pas couru. Comment pourrions-nous jamais le savoir ? Peut-être que l'un d'eux a dégainé une épée et a frappé quelqu'un avec (Mc 14, 48), mais ensuite, face aux « épées et aux massues » (Mc 14, 43, 48), il a perdu son sang-froid et s'est enfui, après quoi les compagnons faisaient de même. La peur peut être contagieuse [2].


D'autres éléments peuvent être apporté pour soutenir la véracité des annonces de la passion de Jésus. Comme le souligne Mike Licona le contexte de la première annonce contient deux réprimandes. St Pierre envers Jésus et Jésus envers St Pierre, il est peut probable qu'il s'agisse d'une invention car cela rentre dans le critère de l'embarras. Plusieurs sémitismes possibles apparaissent en Matthieu 16.13-23 "Μακάριος εἶ, Σίμων Βαριωνᾶ (tu es heureux, Simon Bar-Jona)", "σὰρξ καὶ αἷμα (la chair et le sang)" et "οὐ κατισχύσουσιν αὐτῆς δώσω σοι τὰς κλεῖδας τῆς βασιλείας τῶν οὐρανῶν (ne prévaudront point contre elle. Et je te donnerai les clefs du royaume des cieux). Il est possible que ces sémitismes proviennent d'une source pré-mathéenne avec de fortes racines judéo-chrétienne. Ensuite Jésus utilise l'expression "le Fils de l'homme" qui est différente de la façon dont les premiers chrétiens parlaient de Jésus et rentre dans le critère de dissemblance car la tradition chrétienne était plus prompt a utiliser des titres comme "fils de Dieu / Messie". De plus en Marc 9.31 l'expression "le fils de l'homme va être livré entre les mains des hommes" est considérée comme une traduction d'un jeu de mots araméen comme le dit Armand Puig i Tàrrech il s'agit du "noyau le plus ancien de ce que l’on désigne par les trois prédictions de la Passion [3]".

L'annonce pendant l'institution de l'eucharistie est attestés en dehors des évangiles en 1 Corinthiens 11.24-25 qui reflète une tradition pré-paulinienne partagé avec Luc 22.15-25 et est généralement considéré comme une tradition indépendante de Marc 14.18-28, ce qui nous fournit une attestation multiples [4]. Nous n'avons donc pas d'un point de vu de la critique historique à rejeter les annonces de la passion. Et si on est d'avis que l'auteur de Marc utilisait les lettres pauliniennes il faudrait aussi prouver qu'il n'avait pas accès en dehors des épitres pauliniennes à d'autres traditions comme des traditions provenant de l'apôtre Pierre [5].


Il faut maintenant expliquer pourquoi les apôtres avaient du mal à comprendre les annonces de la passion. La meilleure explication est que les apôtres n'attendaient pas un Messie qui devait mourir et ressusciter. Comme le montre plusieurs textes juifs un Messie guerrier envoyé du ciel était attendu [6]. C'est ce qui explique la réaction de St Pierre après la premiere annonce de la passion "à Dieu ne plaise, Seigneur ! cela ne t'arrivera pas". D'autres arguments peuvent être invoqué pour nier les récits. Par exemple pourquoi les trois disciples ne comprennent pas quand Jésus dit qu'il sera ressuscité (Marc 9.10) et plus tard, après la crucifixion ils ne comprenaient toujours pas que Jésus devait ressusciter (Jean 20.9) alors que ceux qui n'étaient pas ses disciples ont comprit la parole de Jésus (Matthieu 27.62-64) ? Il est possible qu'au premier abord les disciples n'aient pas su comment interpréter correctement l'expression "trois jours" et aient pensé à une résurrection générale. Cette expression se retrouve en Osée 6.2 et fait référence à la résurrection générale "Osée 6.2 Il nous rendra la vie dans deux jours, le troisième jour il nous relèvera et nous vivrons devant lui". Et le targum de ce passages encore plus explicite "au jour de la résurrection des morts, il nous ressuscitera [7]". La réaction de la mère des fils de Zébédée en Matthieu 20.20-21 peut aussi aller dans ce sens. Juste après que Jésus ait pour une troisième fois annoncé sa mort et résurrection cette dernière réagit en lui faisant une demande par rapport au royaume des cieux. Cette réaction peut s'expliquer si elle attendait la résurrection générale et l'arrivé du royaume des cieux juste après la résurrection dont parlait Jésus. Quoi qu'il en soit il semble assez clair que les disciples ont fini par comprendre qu'il se passerait quelque chose après trois jour comme le montre la réaction des disciples d'Emmaüs en Luc 24.21 "Quant à nous, nous espérions que ce serait lui qui délivrerait Israël ; mais, en plus de tout cela, on est au troisième jour depuis que cela s'est passé". En réalité ce qu'ils (les disciples) ne comprenaient pas, c'est que c'était le plan de Dieu que le Messie meurt et revienne à la vie et que c'était dans les écritures. Les juifs qui ont participé à faire crucifier Jésus avaient comprit que Jésus avait parlé de résurrection après trois jours mais ils n'avaient pas comprit qu'il était le Messie attendu et qu'il devait mourir et revenir à la vie comme l'annonçait les écritures. Ils n'ont donc pas mieux comprit que les disciples. Pour finir on peut remarquer que l'incompréhension des apôtres ne prouve pas que Jésus n'a pas annoncé sa mort et sa résurrection et que ce n'est pas arrivé, c'est même plutôt l'inverse. En effet si les disciples avaient du mal à croire que le Messie devait mourir et ressusciter pourquoi ont-ils fini être unanimes sur le fait que Jésus est ressuscité au point de donner leur vie pour cette croyance ? La meilleurs solution pour expliquer la conviction finale des disciples est qu'ils ont vu le Christ ressuscité conformément à ce qu'il avait annoncé.









  1. Geza Vermès, Resurrection, pp81-82

  2. Dale Allison, The Resurrection of Jesus: Apologetics, Polemics, History, pp191-192

  3. Armand Puig i Tàrrech, Jésus une biographie historique, partie 6.1.1.3

  4. Voir Mike Licona, The Resurrection of Jesus A New Historiographical Approach, pp285-302. (Je ne suis pas d'accord avec tous les arguments donnés par Licona dans ces pages)

  5. Voir par exemple Michael Bird dans "Paul and the Gospels: Christologies, Conflicts and Convergences pp30-61" qui soutient que St Marc utilise St Paul et en même temps des traditions reçu de l'apôtre Pierre. Pour un point de vu différent voir James G. Crossley dans le même ouvrage pp10-29 qui soutient que St Marc et St Paul avaient tous deux accès aux mêmes traditions sans que St Marc utilise les épitres pauliniennes.

  6. Psaumes de Salomon, 17.21-32 ; 1 Énoch 68 ; 4 Ezra 13.1-13

  7. Craig Evans, Matthew New Cambridge Bible Commentary, p316

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